BEYENS, Baron Eugène, N.-L.-J.-M.-A.

Né à Paris, le 24 mars 1855, décédé à Bruxelles, le 3 janvier 1934.

 

Ministre d'État.

Ministre des Affaires Étrangères, 1915-1917.

Membre du Conseil des Ministres, 1914-1915, 1917-1918.

Membre de la Chambre des Représentants.

Chef du Cabinet du Roi Albert I, 1910-1912.

Envoyé Extraordinaire et Ministre Plénipotentiaire en Allemagne, 1912-1914.

en Roumanie et en Bulgarie, 1899-1910.

en Perse, 1896-1899.

Membre de l'Académie Royale de Belgique.

 

Grand Croix de l'Ordre de Léopold, de l'Ordre de la Couronne et de l'Ordre de Léopold II, Croix Civique de 1re Classe, Médaille Commémorative du Règne de Léopold II, Médaille Commémorative du Centenaire.

Grand Croix de l'Ordre d'Orange-Nassau et de l'Ordre de la Maison d'Orange de Pays-Bas, de l'Ordre du Lion et du Soleil de Perse, de l'Ordre de l'Étoile et de l'Ordre de la Couronne de Roumanie, de l'Ordre de Sainte-Anne de Russie et de l'Ordre de la Couronne d'Italie, Grand Officier de l'Ordre de la Légion d'Honneur de France, Commandeur de l'Ordre de Charles III d'Espagne, Officier de l'Ordre de la Couronne de Chêne de Luxembourg, Chevalier de l'Ordre du Christ de Portugal.

 

 

BEYENS, Eugène, Napoléon, Baron. Diplomate, né à Paris le 24 mars 1855, décédé à Bruxelles le 3 janvier 1934.

Le baron Beyens fut, dans le premier quart du XX e siècle, l’un des membres les plus éminents de la diplomatie belge. Elevé dans cette carrière, il y voua son existence. Son père l’y avait précédé ; secrétaire de la légation de Belgique à Madrid, il avait épousé Alcala Galiano, fille du comte de Casa Valencia, et amie d’enfance d’Eugénie de Montijo Guzman. Quand celle-ci, par son mariage en 1853 avec Napoléon III, fut devenue Impératrice, Léopold Ier vit intérêt qu’il y avait à la transférer à Paris. Son fils y naquit et reçut pour prénoms Eugène, Napoléon, l’Empereur et l’Impératrice étant son parrain et sa marraine.

L’enfant était de santé délicate.

Son père, absorbé à Paris par ses occupations officielles et ses obligations mondaines, l’envoya, âgé de huit ans, à Bruxelles, chez sa mère à qui il délégua le soin de veiller sur son instruction. Dans sa mission d’éducatrice, qui se prolongea quand, plus tard, il venait passer auprès d’elle ses vacances du lycée, elle eut pour auxiliaire le baron Lambermont qui, grand ami de son fils, était déjà à quarante-quatre ans du Belgique quasi célèbre, signataire du traité concernant le rachat du péage de l’Escaut. Il entoura l’enfant de son affection. A se sortie du ministère, il l’emmenait promener par les rues et les boulevards de la ville ; il l’initiait, chemin faisant, à l’histoire de la Belgique et éveillait en lui le désir de servir son pays, le préparent ainsi à devenir son disciple.

Sa santé raffermie, le jeune Beyens retourna à Paris. Il y fit de brillantes études au collège Rollin et fut, au concours général, couronné des mains du Prince Impérial. Plus tard, dans son livre sur Le Second Empire vu par un diplomate Belge, il en évoqua la phase finale dont, adolescent, il avait été témoin : aux côtés de son père, il avait assisté, le 15 juillet 1870, à la séance du corps législatif où, à la veille d’une guerre désastreuse, Emile Ollivier opposait un aveugle optimisme aux appréhensions de Thiers. Au moment où sa vie de collège prenait fin en 1872, un de ses professeurs écrivait de lui : « ce jeune homme fait honneur à sa famille et à son collège, en attendant qu’il fasse honneur à son pays ».

En février 1877, il est admis, en qualité d’attaché de légation, à faire ses débuts dans la carrière diplomatique sous l’autorité de son père à Paris. En 1878, il fait partie d’une mission envoyée à Madrid. En janvier 1879, âgé de vingt-trois ans, il est appelé à Bruxelles et attaché au cabinet du Roi ; il demeurera pendant huit ans au service d’un souverain d’une stature exceptionnelle, sous les ordres immédiats de deux hommes éminents qui furent l’un après l’autre ses chefs : Van Praet auquel succéda son neveu Jules Devaux. Cette période, si elle connut de délicats problèmes intérieurs, fut surtout marquée par l’action de Léopold II sur le plan international aboutissant à la création de l’Etat Indépendant du Congo. Beyens y fut associé au rang modeste qu’il occupait alors ; chargé de déchiffrer les télegrammes que Lambermont et Banning adressaient du Congrès de Berlin, et de chiffrer ceux qui leur étaient expédiés, il lui arrivait aussi de devoir préparer le texte des lettres autographes que le Roi jugeait utile d’envoyer aux principaux susceptibles d’exercer une influence sur l’issue des négociations.

Après les années passées à une telle école, Beyens reprit du service à l’étranger. Son père avait été accrédité en qualité de ministre plénipotentiaire à Paris en 1864 ; il devait le demeurer pendant trente ans. Son fils lui fut à nouveau adjoint en 1887, cette fois en qualité de secrétaire ; promu sur place conseiller en 1890, il le remplacera pendant quelques mois à son décès en 1894, en qualité de chargé d’affaires.

Nommé ministre à Téhéran en 1896, il occupa ce poste pendant deux ans. La Perse , séparée du reste du monde par des montagnes et des déserts, était encore à cette époque un pays d’accès malaisé. Les hommes d’affaires belges s’y étaient cependant introduits. Beyens s’employa à soutenir leurs efforts et à favoriser les appels que le gouvernement du Shah faisait aux fonctionnaires et techniciens belges.

De Téhéran, Beyens fut, en décembre 1898, transféré à Bucarest ; il demeura dix ans titulaire de cette légation. L’expansion économique belge avait trouvé un terrain favorable en Roumanie ; il y consacre ses soins. Aux liens d’affaires s’ajoutaient ceux qui existaient entre les deux familles royales : le roi Charles était le beau-frère du Comte de Flandre.

L’avènement du Roi Albert, à la fin de 1909, avait entraîné, suivant l’usage, la démission des hauts dignitaires de la cour. Beyens qui, depuis mars 1909, collaborait aux travaux de la direction politique du ministère, fut appelé, en janvier 1910, à la direction du cabinet du Roi et reçut le mois suivant le titre de Ministre de la Maison du Roi que seul Van Praet avait porté avant lui.

Le poste de Berlin devenu vacant par la retraite du Comte Greindl qui l’avait occupé pendant vingt-quatre ans, le baron Beyens le sollicita et y fut nommé en mars 1912. Il y vécut deux ans sur le qui-vive, obsédé par les périls de la situation internationale auxquels s’ajoutaient les visées de l’Allemagne sur le Congo. L’Allemagne impériale se préparait à la guerre que l’on prévoyait et poussait intensément ses armements. Guillaume II, dans l conversation qu’il eut à Potsdam le 5 novembre 1913 avec le roi Albert, avait affirmé qu’un conflit armé avec la France était inévitable et prochain. Le général von Moltke, chef d’état-major général, avait exprimé la même conviction. Le baron Beyens obtint du Roi l’autorisation d’en informer son collègue français Jules Cambon. Un tel langage était particulièrement alarmant ; l’inquiétude que le baron Beyens éprouva à la suite de l’attentat de Setajevo le 28 juin 1914 devint de l’angoisse quand il apprit le 2 août la violation du Grand-Duché de Luxembourg. Ce ne fut cependant que le 3 août, dans la soirée, qu’un télégramme de Bruxelles le mit au courant de l’ultimatum de la veille et de la réponse du gouvernement Belge. Le 4 août, à sa protestation indignée, le secrétaire d’état von Jagow, tout en reconnaisant qu’aucun reproche ne pouvait être adressé à la Belgique , répondit qu’une marche rapide à travers son territoire était, pour l’Allemagne, une question de vie ou de mort : c’était la thèse du Not kennt kein Gebot que le chancelier von Bethmann-Hollweg allait développer l’après-midi au Reichstag. Ayant obtenu ses passeports, le baron Beyens fut reconduit le lendemain à la frontière hollandaise.

L’invasion allemande avait obligé le gouvernement à chercher refuge pour ses principaux services à Sainte-Adresse près du Havre. La santé de Davignon, le ministre des affaires étrangères, était chancelante. Le baron Beyens avait été invité à le suppléer et à gérer ad interim son département. Nommé Ministre d’Etat le 26 juillet 1915 et Membre du Conseil des Ministres le 30 juillet, un arrêté royal du 18 janvier 1916 lui confia officiellement les fonctions de ministre des affaires étrangères qu’il exerçait déjà en fait et qu’il conserva jusqu’au 4 août 1917.

C’est à lui qu’incombait désormais la mission de définir vis-à-vis des puissances étrangères la position de la Belgique dans la guerre et de veiller à ce que, au moment du règlement de la paix, ses intérêts essentiels fussent sauvegardés. Semblable tâche était délicate. La Belgique entendait combattre jusqu’au bout aux côtés de ses garants fidèles, pour repousser l’agression dont elle avait été victime. Mais elle voulait le faire comme état neutre dont la neutralité a été violée par un de ses garants. Cette position dans le conflit lui donnait un droit à des réparations matérielles et morales ; elle avait par conséquent intérêt à la maintenir intacte et à ne pas la confondre avec celle de l’Italie, de la Roumanie , du Portugal et d’autres états qui avaient pris parti contre les empires centraux et étaient devenus de ce fait les alliés des puissances de l’Entente. C’est ainsi que la Belgique ne signa pas la convention conclue à Londres le 5 septembre 1914, par laquelle la France , la Grande-Bretagne , la Russie s’engageaient mutuellement à ne pas conclure de paix séparée au cours de la guerre et, le moment venu, à ne pas poser de conditions de paix sans accord préalable avec chacun des autres alliés. Avec le baron Beyens, le gouvernement jugea toutefois utile d’obtenir de la France , de la Grande-Bretagne , de la Russie , garants de la neutralité belge, une déclaration solennelle affirmant leur intention d’appeler le gouvernement belge, quand s’ouvriraient les négociations de paix, à y participer et à ne pas mettre fin aux hostilités sans que la Belgique fût rétablie dans son indépendance politique et économique, et largement indemnisée des dommages qu’elle avait subis. Ce fut l’objet de la « Déclaration de Sainte-Adresse » dont les ministres des trois puissances donnèrent notification officielle au baron Beyens le 14 février 1916.

La position spéciale par laquelle le baron Beyens voulait sauvegarder les intérêts de la Belgique en tant qu’état neutre garanti par les grandes puissances ne contredisait nullement son désir de la débarrasser, après la guerre, de la servitude politique que lui avaient imposée les traites de 1839. En juillet 1916, il avait remis à Sir Edward Grey et communiqué au gouvernement français, un mémorandum relatif au statut de la Belgique. Le gouvernement y déclarait que les Belges étaient unanimes à ne plus vouloir de la neutralité conventionnelle dans laquelle ils voyaient une diminution de leur souveraineté, un moyen pour l’Allemagne de s’ingérer dans les affaires du pays ; ils souhaitaient une indépendance que ne grèverait aucune obligation ; le mémorandum exprimait le désir que l’Angleterre et la France , en raison de la sécurité qu’elle constituait pour elles, consentissent à la garantir ainsi que l’intégrité des territoires belges d’Europe et d’Afrique, par un traité auquel la Belgique ne participerait pas.

Une telle politique n’était pas comprise par ceux qui, dans l’entourage du gouvernement et même parfois au sein de celui-ci, aspiraient à élargir le rôle international du pays, voire à obtenir des agrandissements territoriaux. Bien que ces critiques et les controverses suscitées à ce propos fussent limitées à un cercle restreint, elles ne furent pas étrangères à la retraite du Baron Beyens. Ses fonctions de ministre des affaires étrangères furent recueillies le 4 août 1917 par le chef même du gouvernement, le baron de Broqueville.

Le baron Beyens ne participa pas à la Conférence de la Paix en 1919 mais, en 1920, une importante mission lui fut confiée par la Société des Nations sur la proposition d’Hymans. Avec Calonder, ancien président de la Confédération Helvétique , et Elkus, ancien ambassadeur des Etats-Unis, il fut chargé d’élucider sur place la question des îles Aland dont la Suède et la Finlande se contestaient la souveraineté. Au retour de cette mission, il fut nommé, le 31 juillet 1921, ambassadeur auprès du pape Benoît XV, à qui le pape Pie XI devait succéder quelques mois plus tard. Il le demeura jusqu’à la date de sa mise à la retraite en 1925. Vandervelde, à ce moment ministre des affaires étrangères, avait crée une commission diplomatique destinée à l’éclairer de ses avis sur les principales questions de politique extérieure intéressant la Belgique. Il en confia la présidence au baron Beyens qu’il avait eu comme collègue pendant la guerre et qu’il tenait, comme son prédécesseur Hymans, en haute estime. La commission comprenait, à côté du ministre, trois de ses collaborateurs immédiats et le baron Moncheur, ancien ambassadeur à Londres ; ses délibérations se poursuivaient sur le ton de la conversation, de chaque côté d’une petite table. Hymans, redevenu ministre des affaires étrangères, fit encore appel au baron Beyens, en lui confiant la présidence du jury devant lequel se présentaient les candidats au concours d’admission dans les carrières diplomatique et consulaire.

Quand avaient pris fin en 1917 ses fonctions de ministre des affaires étrangères et quand, huit ans plus tard, il avait atteint l’âge de la retraite, le baron Beyens avait consacré ses loisirs à la publication d’ouvrages et d’articles sur des sujets d’histoire contemporaine ; le plupart d’entre eux sont nourris des observations et réflexions qu’une longue carrière lui avait permis de faire. Son œuvre de chroniqueur et d’historien comprend principalement : Le Second Empire vu par une diplomate belge (2 vol., 1924), Mission en Perse (1927), Deux années à Berlin 1912-1914 (2 vol., 1931), Quatre ans à Rome 1921-1926, qui parut l’année de sa mort. Il put se servir dans ces trois ouvrages des nombreux rapports qu’il avait adressés au gouvernement au cours de ses missions diplomatiques, les reproduisant parfois en entier, parfois en fragments, d’autres fois se bornant à les résumer. Ils constituent des contributions importantes à l’histoire de la politique internationale contemporaine.

Son livre Deux années à Berlin, 1912-1914, est consacré à sa mission en Allemagne, à l’avant-veille de la guerre. Il offre, pour ce motif, un intérêt particulier. Au moment où, en octobre 1930, il en acheva la rédaction, l’esprit de Locarno soufflait encore ; il continuait de régner à la Société des Nations ; il avait inspiré le Pacte de Paris en 1928, le projet d’union douanière en 1930. Cependant le baron Beyens ne croyait pas que le désir de réconciliation se fût généralisé en Allemagne. Loin d’enseigner aux jeunes générations l’horreur de la guerre, « on ne leur parle, écrivait-il, que de revanche, on ne leur inspire que le mépris des traités, on nourrit leur imagination des vieux rêves de domination qui ont perdu l’empire florissant des Hohenzollern… Du désarmement moral, sans lequel le désarmement matériel ne serait pour nous qu’imprudence, faiblesse et duperie, il n’y a pas de trace ». Aussi présentait-il son livre comme « un avertissement et une leçon tirée des prodromes de la dernière guerre ».

L’Académie Royale de Belgique avait reconnu les éminentes qualités du diplomate et de l’écrivain ; élu correspondant de la Classe des Lettres et des Sciences Morales et Politiques le 7 décembre 1925, il devint membre le 1er mai 1933. L’Académie des Sciences Morales et Politiques de France l’avait de son côté élu membre correspondant.

 

Fernand Vanlangenhove – Biographie Nationale.