
DAVIGNON, Vicomte
Jacques, H.-C.-F.
Né à Bruxelles, le 15
février 1887, y décédé, le 10 octobre 1965.
Ambassadeur Honoraire.
Envoyé Extraordinaire et
Ministre Plénipotentiaire en Allemagne, 1935-1940.
en Pologne, 1933-1935.
en Hongrie, 1926-1933.
Grand Croix de l'Ordre de
la Couronne et de l'Ordre de Léopold II, Commandeur de l'Ordre de Léopold,
Croix de Guerre 1914-1918, Médaille du Volontaire Combattant 1914-1918,
Médaille Commémorative de la Campagne 1914-1918, Médaille de la Victoire,
Croix Civique 1re Classe, Médaille Commémorative du Centenaire.
Grand Croix de l'Ordre du
Mérite de Hongrie, de l'Ordre Polonia Restituta de Pologne et de l'Ordre de
l'Étoile d'Éthiopie, Grand Officier de l'Ordre de la Couronne de Roumanie,
Commandeur de l'Ordre Royal de Victoria de Grande-Bretagne, de l'Ordre des SS.
Maurice et Lazare d'Italie et de l'Ordre du Lion Blanc de Tchécoslovaquie,
Officier de l'Ordre de la Légion d'Honneur de France.
DAVIGNON, Jacques-Henri-Charles-François, vicomte, diplomate, né à
Ixelles le 15 février 1887, décédé à Woluwe-Saint-Pierre le 10 octobre
1965.
Il était le fils de Julien Davignon, homme d’état catholique qui fut
ministre des affaires étrangères du 9 janvier 1908 au 18 janvier 1916, et le
frère puîné d’Henri Davignon, homme de lettres qui siégea pendant
trente-deux ans à l’Académie Royale de Langue et de Littérature Françaises.
Il avait vingt ans quand son père, succédant au Baron de Favereau à la tête
des affaires étrangères, alla s’installer dans la vieil hôtel ministériel
8, rue de
la Loi
; il y habita jusqu’à son départ pour l’étranger.
Après ses études de droit à l’Université de Louvain, il s’était
orienté vers la carrière diplomatique. Attaché de légation et adjoint à
l’administration centrale en 1911, il était promu secrétaire de légation le
21 octobre 1913 après avoir subi l’examen diplomatique et l’examen
commercial. Dès le 11 décembre de la même année, il était adjoint à la légation
de Belgique à Berlin. Le Baron Beyens, qui en était le chef, était considéré
comme le maître de la diplomatie belge. Le jeune secrétaire n’aurait pu, au
début de sa carrière, être placé à meilleure école. Le Comte André de
Kerchove, son aîné, l’y avait précédé de quelques mois. Ce premier séjour
en Allemagne fut de courte durée. L’attentat de Sarajevo le 28 juin 1914
avait provoqué une menace de guerre européenne. Le 26 juillet 1914, le Baron
Beyens l’envoyait, en courrier spécial, porter à son père Julien Davignon,
ministre des affaires étrangères, un rapport allemand. Quelques jours plus
tard, c’étaient, le 2 août, l’ultimatum enjoignant à Bruxelles de livrer
passage à l’armée allemande, et le 4 août l’agression. Beyens élevait
contre elle une protestation indignée que son jeune collaborateur d’alors,
devenu ambassadeur à Berlin allait être obligé de renouveler, le 10 mai 1940,
dans des circonstances plus tragiques encore. Le 5 août, le Baron Beyens ayant
obtenu ses passeports fut reconduit à la frontière hollandaise. Le Vicomte
Davignon était parmi les membre du personnel de la légation qui
l’accompagnaient. Devenu chef de poste, il eut le même sort dans des
conditions plus pénibles encore, en 1940. Le gouvernement s’étant retiré à
Anvers, il fut, dès le 19 août, adjoint à la légation de Londres dont, en
janvier 1915, Hymans devenait le chef. Il resta sous ses ordres pendant trois
ans et allait être son collaborateur à plusieurs reprises par la suite. Attaché
au cabinet du ministre des affaires étrangères le 30 août 1917, il l’y
retrouvait le 1er janvier 1918 et l’accompagnait à
la Conférence
de
la Paix
à Paris, de janvier à juillet 1918, où il était adjoint au secrétariat de
la délégation belge. L’année suivante, les conférences internationales se
succèdent à court intervalle ; il est secrétaire de la délégation
belge aux réunions du Conseil Suprême Interallié de San Remo du 19 au 26
avril 1920 et de Boulogne les 21 et 22 juin ; il est adjoint au secrétariat
de la délégation belge au Conférences de Réparations de Bruxelles et de Spa
du 1er au 17 juillet. Dans ses Mémoires,
Hymans l’avait dessiné en quelques traits à Paris : « jeune homme
d’allure froide et un peu timide, discret mais avisé, perspicace et sûr
conseil ». En avril 1920, l’occasion s’offre de préciser le portrait.
La France
, qui a occupé Francfort malgré l’opposition de l’Angleterre, demande à
la Belgique
de se joindre à elle. La décision est délicate : il s’agit de prendre
parti entre les deux grands alliés sur lesquels repose la sécurité de
la Belgique.
Hymans
s’entretient longuement de la situation avec son chef de cabinet « en
qui, écrit-il, j’avais confiance et qui, jeune encoire, avait un sens
politique éveillé, du tact, du flair, une grande probité d’esprit ».
Le 20 novembre 1920, Jaspar succède à Hymans aux affaires étrangères.
Davignon est secrétaire de la délégation belge au Conseil Suprême Interallié
à Paris du 22 au 30 juillet 1921, aux Conférences de Londres du 24 février au
10 mars et du 26 avril au 12 mai, au Conseil Suprême Interalliée à Paris du 8
au 14 août, à
la Conférence
de Cannes du 6 au 15 janvier 1922. Le 20 novembre 1921, il a été promu
conseiller de légation ; le 11 janvier 1922, Jaspar en fait son chef de
cabinet. La même année, il est secrétaire général de la délégation belge
à
la Conférence
Economique
de Gênes du 6 avril au 11 mai, adjoint à la délégation belge aux réunions
interalliées de Londres du 6 au 15 août 1922 et du 2 au 12 décembre, de Paris
du 1er au 6 janvier 1923. Jaspar ayant démissionné le 27 février
1924, Hymans redevient ministre des affaires étrangères le 11 mars. Davignon,
resté chef du cabinet, est membre de la délégation belge à
la Conférence
des Réparations réunie à Londres du 18 juillet au 16 août 1924. En juin
1925, Vandervelde succède à Hymans au affaires étrangères et fait d’Henri
Rolin, conseiller juridique, son chef de cabinet.
La période des conférences interalliées se clôt pour Davignon. Le 15
février 1926, il est nommé chargé d’affaires à Budapest ; il y est
promu ministre plénipotentiaire le 30 novembre 1930. Accrédité comme ministre
de Belgique à Varsovie le 30 mars 1933, il demeure à la tête de cette légation
jusqu’au moment où, à la fin de 1935, il est appelé à représenter
la Belgique
dans l’Allemagne nazie. Après le succès de ses missions à Budapest et
Varsovie, c’était son transfert dans un poste peu attrayant et périlleux. Il
fallut l’instance de van Zeeland, alors premier ministre et ministre des
affaires étrangères pour qu’il s’y résignât. Il avait passé trois ans
à Londres au début de sa carrière ; ses goûts l’eussent plutôt
orienté vers un pays de langue anglaise. A l’égard du régime hitlérien il
ne pouvait éprouver que de la répulsion. Mais c’était un diplomate qui
avait un sens élevé des devoirs de sa profession ; peut-être avait-il
aussi le pressentiment de l’importance que sa mission allait avoir pour la sécurité
de son pays ?
Au moment où il prenait ses dispositions pour rejoindre son poste,
Hitler avait le 7 mars réoccupé militairement la rive gauche du Rhin en
violation des accords de Locarno et répudié les engagements librement contractés
dix ans auparavant. En supprimant le glacis rhénan, ce coup de force portait
une grave atteinte à la sécurité de
la Belgique.
Des
négociations devaient s’engager en vue de l’élaboration d’un nouveau
Pacte occidental ; le Vicomte Davignon, dont des raisons de convenance
avaient tout d’abord retardé le départ, alla occuper son nouveau poste en
avril. Il ne tarda pas à nouer des liens intimes avec trois de ses collègues
qui occupaient une place de premier plan à Berlin : l’ambassadeur
d’Angleterre, Sir Eric Phipps dontVo l’amitié datait de l’époque où il
était conseiller à Bruxelles, l’ambassadeur de France, François Poncet pour
lequel il avait des égards particuliers, l’ambassadeur d’Italie, Attolico
dont le pays allait devenir l’allié de l’Allemagne mais dont l’amitié,
grâce à sa situation priviligiée, allait être précieuse pour le représentant
de
la Belgique.
La déclaration franco-britannique du 24 avril 1937 avait déchargé
la Belgique
des obligations d’assistance résultant pour elle du Pacte Rhénan détruit
par Hitler, tout en maintenant la garantie des deux puissances occidentales à
son égard. Hitler avait déclaré le 30 janvier 1937 qu’il était disposé à
reconnaître
la Belgique
et
la Hollande
comme région neutre et inviolable. Le 8 février, Davignon avait été chargé
d’en prendre acte. Une déclaration unilatérale de l’Allemagne fut alors
envisagée. Le 30 juin dans une lettre personnelle, j’en soumis l’idée à
Davignon en lui demandant son avis (Davignon, Berlin
1936-1940). Mais il fallait attendre que les négociations en vue
d’un nouveau poste général eussent définitivement échoué. Il fallait
aussi éviter de porter ombrage à l’Angleterre et à
la France.
Davignon
avait prudemment maintenu le contact. Les pourparlers, une fois engagés,
aboutirent le 13 octobre 1937 à une déclaration unilatérale de l’Allemagne
rétablissant l’équilibre de
la Belgique
entre ses grands voisins, qui avait été la condition de son indépendance
avant la première guerre mondiale. Voici ce qu’écrit Spaak à ce sujet :
« Notre ambassadeur à Berlin, le vicomte Davignon, dans cette nouvelle
phase de notre action, nous aide beaucoup. Excellent diplomate, subtil, très
bien informé, tout acquis à notre politique, exécutant fidèlement les
instructions qu’il recevait, il contribua grandement au succès de la négociation ».
En novembre 1938, sur proposition du gouvernement allemand, les légations
respectives dans les deux pays furent élevées au rang d’ambassade. Ainsi était
consacrée la position que Davignon, bien que représentant d’un petit pays,
avait rapidement acquise à Berlin. Le Baron von Neurath, ministre des affaires
étrangères, diplomate de carrière, était de caractère affable. Joachim von
Ribbentrop, qui lui avait succédé le 4 février 1938, était un personnage
tout différent. Ses liens avec le parti nazi l’avaient porte à ce poste ;
il l’occupait avec ostentation et y était l’exécuteur cynique de la
politique hitlérienne.
Le Vicomte Davignon avait reçu pour instruction lors de sa désignation
à Berlin de tenter de normaliser les relations germano-belges. La question des
cantons d’Eupen-Malmédy, que le traité de Versailles avait enlevés à
l’Allemagne, y était un obstacle ; périodiquement, elle empoisonnait
l’atmosphère. Goebbels comme Göring, que l’ambassadeur alla voir, lui
dirent qu’ils la considérant comme de minime importance. La propagande irrédentiste
n’en continuait pas moins dans la presse nazie et les cantons demeurèrent une
cause continuelle de souci pour le représentant de
la Belgique.
Depuis son arrivée à Berlin, le danger auquel la politique
d’expansion de Hitler exposait l’Europe n’avait fait que grandir.
L’armement était poussé au maximum. La réoccupation militaire de
la Rhénanie
avait été suivie, tandis que se resserraient les liens avec l’Italie, de
l’annexion de l’Autriche d’abord, de
la Tchécoslovaquie
ensuite. Le voile s’était déchiré le 23 mars 1939 au lendemain de ce
dernier coup de force. « Nous vivons de nouveau, à Berlin, des heures
d’angoisse », écrivait-il.
La Pologne
n’échappera pas au sort des deux premières victimes. Si elle résiste,
c’est un risque certain de guerre générale. « L’explosion est
certaine mais quand se produira-t-elle ? » Elle eut lieu cinq mois
plus tard. Davignon était dans le bureau de Sir Nevile Henderson, son collègue
britannique, au moment où celui-ci se préparait, le 2 septembre, à porter la
déclaration de guerre de son pays au gouvernement du Reich. Le 4 septembre, il
remettait au secrétaire d’état du ministère des affaires étrangères la déclaration
de neutralité de
la Belgique.
Dès la fin septembre, les armées allemandes, après avoir écrasé
la Pologne
, avaient reflué vers l’ouest et se massaient aux frontières de
la Belgique
et de
la Hollande.
Davignon
allait désormais vivre dans des alertes continuelles.
Le 9 octobre, le major Sas, attaché militaire hollandais, lui
confie qu’il tient d’un ami allemand digne de foi et très bien placé
qu’une offensive à travers
la Belgique
est à l’étude au bureau du chef d’état-major général. Le colonel
Goethals, l’attaché militaire belge, qui au long de cette période critique
maintient une étroite collaboration avec son ambassadeur, a aussitôt télégraphie
le renseignement aux autorités militaires à Bruxelles. Dans un rapport au
ministères des affaires étrangères, Davignon en fait le 10 octobre un examen
critique : « Nous allons donc vivre, écrit-il, des jours
d’angoisse… Nous entrons dans la période où le plus grand sang-froid sera
nécessaire ». Le 19 octobre, il renouvelle la mise en garde :
« Dans le doute, nous devons nous tenir dans un état constant d’alerte.
La vigilance que je n’ai cessé de recommander est plus de rigueur que
jamais… Notre circonscription doit être entière afin d’éviter un faux
pas, comme aussi une surprise ». Cette recommandation, il la renouvellera
à chaque occasion. Si l’agression se produit, il faut que, comme en 1914, la
correction de l’attitude de
la Belgique
la rende injustifiable. Il craint que, par des renseignements alarmants,
l’Allemagne n’essaie de provoquer un appel prématuré à nos garants qui
lui permette de déclencher une offensive minutieusement préparée, c’est ce
que Hitler souhaitait.
La circonspection était d’autant plus nécessaire que Davignon
ignorait la source des informations communiquées par l’attaché militaire
hollandais. Ainsi qu’il est de règle, celui-ci la gardait secrète. Il s’était
borné à dire que c’était un Allemand sérieux, tenant de près de l’armée,
bien placé pour être au courant. Connaissant la rigidité de la discipline
militaire en Allemagne, Davignon se demandait le dessein poursuivre par cet
officier. « Bien des suppositions étaient possibles. S’agissait-il
d’une manœuvre rentrant dans le cadre de la guerre des nerfs, dans le but de
nous faire commettre un faux pays ? » On ne connut l’identité de
l’informateur qu’après la guerre. C’était le général Hans Oster au
service du contre-espionnage (Abwehr),
dirigé par l’admiral Canaris. Il appartenait à ce petit groupe d’officiers
supérieurs persuadés que Hitler menait l’Allemagne à sa perte. Il révélait
ses plans d’agression pour y faire obstacle. Il fut, avec d’autres, exécuté
en 1944.
Le 7 novembre, le même informateur annonçait que la date de
l’invasion de
la Belgique
était fixée par le führer au 12 novembre. Dans son rapport à ce sujet,
Davignon émettait un avis favorable à un nouvel appel pacifique des deux
souverains que proposait
la Hollande
à
la Belgique.
Il
ne se faisait pas grande illusion sur son effet, « mais ne faut-il pas
tout tenter ! » Le 20 décembre, il annonça que, suivant les sources
antérieures, des décisions seront prises le 27 ou le 28 et que l’offensive
pourrait avoir lieu le 10 janvier. Le 4 janvier, il télégraphie qu’on
s’attend à une offensive à plus ou moins brève échéance, et il précise
le 5 que ce serait le 15. Le 2 janvier, le Comte Ciano, ministre des affaires étrangères
d’Italie, a d’ailleurs prévenu le Comte de Kerchove, ambassadeur de
la Belgique
à Rome, que
la Belgique
se trouvait en grand danger. Le 10 janvier, un avion-estafette allemand
atterrit par erreur à Mechelen-sur-Meuse, en territoire belge. A son bord, un
officier transportait le plan détaillé de l’offensive qui tombe entre les
mains des autorités militaires belges. « C’était, écrit Davignon, la
confirmation de mes informations et avertissements depuis la fin de la guerre de
Pologne ». Tout portait à penser que le führer, mis au courant, va précipiter
le déclenchement de l’offensive à l’Ouest. Mais les conditions
climatiques défavorables la font à nouveau ajourner. Le 5 avril, Davignon fait
un saut à Bruxelles pour assister à une conférence présidée par Spaak à
laquelle participent le premier ministre, quelques hauts fonctionnaires du département
ainsi que les ambassadeurs à Londres, Paris, Rome,
La Haye.
Il
est convaincu, déclare-t-il, que Hitler donnera, dans un avenir qui ne sera
pas lointain, l’ordre d’attaquer à l’Ouest. Cinq jours plus tard,
l’agression se produit mais dans une autre direction : ce sont le
Danemark et
la Norvège
qui sont envahis : nouvelle preuve que le respect des engagements pris
n’a aucun sens pour Hitler. « Ce qui vient de se passer, écrit
Davignon, est significatif pour nous ». Le 7 mai, il télégraphie que,
suivant des renseignements concordants, une offensive englobant
la Belgique
et
la Hollande
pourrait être imminente. Il conseille de se tenir prêt à tout. Le 9, le
colonel Goethals apprenait de l’informateur habituel que le führer avait le
jour même décidé le déclenchement de l’offensive générale sur le front
Hollande-Belgique-Luxembourg, le lendemain 10 mai à l’aube. A 22 heures 30,
l’état-major général était prévenu. Davignon informe Spaak ; il
n’obtient toutefois la communication téléphonique avec Bruxelles qu’à 23
heures passées : ce fut la dernière. Le lendemain il était convoqué de
grand matin au ministère des affaires étrangères. Ribbentrop lui remettait un
memorandum de 67 pages dans lequel l’état agresseur d’érigeait en
accusateur de sa victime. Après en avoir pris connaissance, l’ambassadeur dit
au ministre, sans pouvoir maîtriser sa colère, que ce texte n’était qu’un
tissu de mensonges abominables. Il élève « une solennelle et énergique
protestation contre le crime sans nom que constitue cette seconde agression
contre un peuple pacifique, laborieux, honnête et loyal ». A ces paroles,
Ribbentrop réagit avec vivacité. Il s’emporte selon son habitude avec des éclats
de voix qui devaient être entendus en dehors de son bureau.
Le 12, après avoir obtenu ses passeports, Davignon quittait Berlin par
chemin de fer avec le personnel diplomatique et consulaire belge, comme il avait
dû le faire en août 1914, jeune secrétaire accompagnant son chef le Baron
Beyens. Le train prit cette fois la direction, non plus de la frontière
hollandaise inaccessible, mais de la frontière suisse. L’ambassadeur a relaté
les conditions pénibles dans lesquelles s’effectua ce rapatriement. Le voyage
se termina le 24 mai ; il avait duré douze jours. De Lyon, il parvint à
me téléphoner à Poitiers où le gouvernement belge venait de trouver refuge.
Je l’engageai à ne pas m’y rejoindre immédiatement en raison de
l’encombrement. Le 5 juin, je reçus sa visite à l’ambassade de Belgique à
Paris où le ministre m’avait demandé de me rendre. Il me fit récit des
journées dramatiques qu’il venait de vivre et dont je le voyais très éprouvé.
Depuis son arrivée de nouveaux événements tragiques étaient survenus ;
l’armée belge avait été acculée à la capitulation le 28 mai ; une
rupture s’était produite entre le souverain et son gouvernement. Peu après,
celui-ci liait le sort de
la Belgique
à celui de
la France
, qui, effondrée, concluait un armistice avec l’Allemagne. Selon les
documents figurant dans le Recueil de
documents établi par le Secrétariat du Roi concernant la période 1936-1949,
Pierlot vit le Vicomte Davignon le 3 juillet 1940 à Vichy ; il lui demanda
de prendre contact avec le ministre d’Allemagne à Berne et d’entamer par
cette voie des négociations d’armistice. Les objections de l’ambassadeur
firent tenir cette démarche en suspens. Désemparés, les ministres avaient
exprimé l’intention de se retirer et avaient renvoyé les fonctionnaires en
Belgique. Répondant au désir exprimé par le roi, Davignon rentra à
Bruxelles. D’après une lettre du 6 septembre, adressée à divers postes
diplomatiques par le Comte d’Ursel, ministre à Berne, il aurait eu, chez le
Comte Capelle, secrétaire du roi, des échanges de vues et de renseignements
auxquels participaient le Baron van Zuylen. A la demande du souverain avec
lequel il avait de fréquents contacts, il l’accompagna le 19 novembre 1940
lors de l’entrevue à Berchtesgaden avec Hitler. L’entretien des deux chefs
d’état, auquel il n’assista pas, fut suivi d’un thé où il se trouva
avec des membres de l’entourage du Führer.
La politique étrangère de
la Belgique
au cours de la période qui précéda la guerre avait été l’objet de
critiques au parlement. Pour y répondre, Spaak créa, au département en 1947,
un service historique dont il confia la direction au Vicomte Davignon ;
Jacques Willequet, conseiller historique, étant son adjoint. Le résultat du dépouillement
des archives auquel ils procédèrent fut consigné dans un rapport détaillé.
Davignon y puisa les éléments de plusieurs chapitres du livre qu’il publia,
en 1951, sous le titre de Berlin 1936-1940. Souvenirs d’une mission (Paris-Bruxelles,
Editions Universitaires). Il eut à s’occuper par la suite du règlement des
questions territoriales posées à la frontière germano-belge par la guerre.
La Belgique
ne désirait pas renouveler les difficultés qu’avait entraînées
l’incorporation des cantons d’Eupen-Malmédy, conformément au traité de
Versailles et que Davignon avait connues pendant sa mission à Berlin. Dans une
note du 26 août 1944 à
la Commission
Consultative
Européenne,
la Belgique
s’était bornée à demander le rétablissement de son intégrité telle
qu’elle existait au moment de l’agression du 10 mai 1940. Par la suite, elle
avait demandé une légère rectification de frontière destinée principalement
à corriger des anomalies et à améliorer les communications, sans poursuivre
aucune visée territoriale. Bien que le Comité Interalliée de Paris y eût en
grande partie donné son agrément en 1948, le gouvernement belge, ne désirant
pas que sa réalisation fut imposée par les puissances victorieuses, se montra
disposé en 1949 à en faire l’objet d’un règlement amiable. Davignon avait
atteint l’âge de la retraite en 1952 ; Spaak le rappela en activité en
1955 et le chargea de mener la négociation et de présider la délégation
belge. A Bonn où il se rendit à diverses reprises, il fut reçu en décembre
1955 par de « chaleureuses démonstrations extérieures d’amabilité et
de bonne volonté ». Adenauer vint signer l’accord à Bruxelles le 24
septembre 1956. La presse allemande célébra l’esprit européen dont Spaak
venait ainsi de faire preuve. Selon Jacques Willequet (Paul-Henri
Spaak, l’homme des combats), il n’est pas exagéré de dire que de là
date la réconciliation germano-belge.
C’était pour le Vicomte Davignon le terme heureux d’une carrière
entièrement consacrée à la diplomatie. Elle avait commencé avec le drame de
1914. Celui de 1940 en avait été le point culminant. Il en avait vécu
l’amertume et les angoisses. Ses qualités majeures s’étaient très tôt révélées :
son sens politique, sa sûreté de jugement, sa clairvoyance, la rectitude de sa
pensée et de son caractère. Elles lui avaient valu la haute estime de ses collègues
belges et étrangers, la confiance que le gouvernement plaçait en lui,
l’attention avec laquelle ses avis et, aux heures critiques, ses
avertissements, étaient écoutés. Il demeure, dans la diplomatie belge, une
figure exemplaire.
Fernand Vanlangenhove – Biographie Nationale.