DEPAGE, Antoine.
Né à Boitsfort, le 28 novembre 1862, décédé à La Haye, le 10 juin 1925.
Général-Major Médecin de Réserve.
Commandant des Hospitaux de la Croix Rouge à l'Yser, 1914-1918.
Senateur.
Membre de l'Académie Royale de Médicine de Belgique.
Doctor Honoris Causa des Universités de Sheffield, de Yale etc...
Professeur a l'Université de Bruxelles.
Grand Officier de l'Ordre de Léopold, Croix de Guerre 1914-1918, Médaille de l'Yser, Médaille du Roi Albert 1914-1918, Médaille Commémorative de la Campagne 1914-1918, Médaille de la Victoire, Croix Militaire de 1re Classe, Croix Civique de 1re Classe.
Commandeur de l'Ordre de l'Aigle Blanc avec Glaives de Serbie, de l'Ordre de la Légion d'Honneur de France, de l'Ordre de Sainte-Anne de Russie et de l'Ordre du Bain de Grande-Bretagne, Distinguished Service Medal États-Unis, Croix de Guerre et Médaille de la Reconnaissance France.
Sept Chevrons de Front.
Dr. Depage (droite) et Dr. Neumann (gauche), Sint-Jansmolen, 7 juillet 1916.
DEPAGE, Antoine, chirurgien, né à Boitsfort le 28 novembre 1862, décédé
à
Depage est un des figures marquantes de la chirurgie belge au début du
XXe siècle et particulièrement durant la première guerre mondiale.
Issu d’une veille famille de notables locaux, mi-commerçants,
mi-fermiers, dont la maison est située à l’orée de
Détestant les contraintes scolaires, c’est un élève indiscipliné au
pensionnat de l’Athénée de Tournai d’où il sera renvoyé. A la fin de ses
études secondaires péniblement poursuivies, il va s’orienter vers la vie
paysanne et s’occuper de la ferme paternelle lorsque, sur les conseils de ses
amis et voisins, les Solvay, et suivant leur exemple, il décide de s’inscrire
à l’Université. N’ayant ni vocation ni aptitudes spéciales, il répond,
ainsi qu’il l’a conté plaisamment lui-même, au secrétaire qui lui demande
à quelle faculté il désire s’inscrire : « celle dont les frais
d’inscription sont les moindres ». C’est ainsi qu’en 1880 il
entreprend des études de médecine. Médiocre étudiant au début, il subit le
choc de l’enthousiasme lorsqu’il est attaché comme élève externe au
service de chirurgie que dirige alors le professeur Thiriar. Hardi, ardent et
volontaire, il fait à partir de ce moment un effort soutenu que sanctionne en
1887 l’obtention du titre de docteur en médecine avec la plus grande
distinction.
Un premier mémoire intitulé De
l’intervention chirurgicale dans la lithiase biliaire lui avait valu en
1886 le Prix de
Il s’attache à donner à son élève la formation intellectuelle qui
lui manque et lui inculque la discipline scientifique. Il guide ses premiers
travaux et lui révèle l’attrait de l’enseignement. Il lui confie les soins
à donner à son vieux père, Constantin Héger, le pédagogue qu’a rendu célèbre
la passion chaste qu’éprouva pour lui Charlotte Brontë, l’auteur de Villette.
C’est au chevet de ce grand vieillard que Depage rencontre une jeune nièce de
dix-sept ans, Marie Picard, qu’il épousera quelques années plus tard en
1893, qui sera pendant vingt-deux ans la collaboratrice la plus efficace et la
plus clairvoyante de son mari et qui mourra en héroïne, victime du torpillage
du « Lusitania » en mai 1915.
Sur les conseils d’Héger, Depage qui a été nommé en 1888 assistant
au service des autopsies à l’Hôpital Saint-Pierre à Bruxelles, passe cinq
mois au laboratoire de chimie biologique de Ludwig à Leipzig puis un semestre
à l’institut d’anatomie pathologique de Kundrat à Vienne, enfin quatre
mois à l’institut de pathologie du professeur Hlava à Prague. C’est là
qu’il élabore un travail sur la tuberculose osseuse qui sera présenté en
1890 comme thèse soutenue devant
C’est entre 1890 et 1913 que se situe la période la plus active et la
plus valable du chirurgien. Soucieux de développer l’information, il
participe en 1892 à l’instauration de
En même temps, son activité professionnelle et scientifique atteint son
summum. S’intéressant à tous les problèmes chirurgicaux, de la chirurgie
splanchnique et orthopédique à la neuro-chirurgie, il fait preuve de curiosité
et d’audace en abordant les sujets les plus divers et en innovant des
instruments destinés à perfectionner la technique.
Frappé par l’insuffisance du nursing dans notre pays, tant au point de
vue de la formation qu’à celui du recrutement, il suscite en 1907 la création
de la première école d’infirmières annexée à une clinique chirurgicale et
en confie la direction à Miss Edith Cavell, infirmière anglaise chevronnée,
dont il avait pu antérieurement apprécier les qualités. Mais ayant toujours
le goût du risque, anxieux de marcher de l’avant et de faire prévaloir ses
opinions il fera construire un institut chirurgical, très moderne pour l’époque,
place Georges Brugmann, à Ixelles, grâce à des soutiens financiers qui au
bout de quelques années s’avéreront insuffisants pour assurer la survie de
l’institution. Celle-ci sera sauvée lorsque plus tard Depage, devenu président
de
En 1907, l’Académie Royale de Médecine élit Depage comme membre
correspondant. En 1909, il procède avec son maître Thiriar à l’intervention
chirurgicale qui précédera de quelques jours la mort du roi Léopold II.
Dynamique et diligent, secrétaire de
Désigné en avril 1914 comme président du IVe congrès à
New-York, il rappelle dans son discours inaugural le rôle qu’il joua pendant
la guerre turco-bulgare de 1912, soulignant que le sort des blessés dépend
avant tout des premiers soins apportés sur le front des combats. C’était,
par une sorte de prémonition, le point de vue qu’il allait soutenir deux ans
plus tard contre les défenseurs de la doctrine alors classique qu’
« en chirurgie de guerre, moins on fait, mieux on fait », doctrine
basée sur les résultats désastreux des interventions pratiques sur les champs
de batailles de la guerre de Crimée et de la guerre franco-allemande de 1870.
La grande guerre de 1914-1918 allait permettre à Depage de donner toute
la mesure de son talent d’organisateur au service d’une énergie inébranlable
et d’une volonté irrépressible. C’est surtout à ce titre que sa mémoire
mérite d’être honorée.
En 1914, l’impréparation du service de santé de l’armée est
flagrante, favorisée par les décennies d’inertie et d’insouciance d’une
paix qui n’a pas été troublée. L’organisation des ambulances
chirurgicales militaires mobiles est désuète. La désignation du personnel de
cadre de ces formations qui auraient requis une élite, est laissée au hasard
de l’ordre alphabétique.
Pour ce qui concerne les civils,
Pour des motifs d’efficacité, il requiert l’inamovibilité de son
personnel qu’il complète par quelques civils choisis en raison de leurs compétences
particulières. Cette optique s’oppose au point de vue du général-médecin Mélis
qui, au nom des règlements, exige un droit de désignation du personnel
militaire et plaide dans la mesure du possible en faveur de
l’interchangeabilité de ce personnel. Il est injuste de réserver aux mêmes
individus une situation privilégiée alors que des combattants exposés depuis
de longs mois aux dangers de la première ligne, resteront condamnés à y
rester et seront voués au refus de toute promotion professionnelle. Les deux thèses
peuvent se défendre. Mais Depage qui supporte mal la contradiction, prétend
imposer la sienne avec véhémence. Les souverains doivent plus d’une fois
user de leur patiente insistance pour imposer la conciliation. Quoi qu’il en
soit, l’Ambulance Océan secouant une autorité militaire abusivement
administrative, s’installe et se développe. Son rendement est remarquable ;
la mortalité des interventions chirurgicales est réduite au taux le plus bas.
La réussite fait taire bientôt les sourdes oppositions. L’ambulance est citée
partout comme un hôpital modèle où sont appliquées les méthodes nouvelles
comme celle de Carrel qui permet d’obtenir rapidement une plaie stérile,
susceptible d’être suturée secondairement. Un service dentaire est mis en
place, puis un service de prothèse et de réparation des instruments est créé
de même qu’un laboratoire de biologie médicale. Des savants livrés à
l’origine à la recherche fondamentale l’appliquent en la circonstance à la
clinique et publient le résultat de leurs travaux dans Les
Annales de l’Ambulance Océan dont Depage suscite la parution.
Préoccupé d’améliorer la formation intellectuelle des chirurgiens et
des médecins éparpillés dans les unités du front, il provoque des réunions
d’information à l’occasion desquelles sont exposés et discutés les progrès
récents. Une émulation de ruche règne dans ce milieu de pointe. Son exemple
suscite l’intérêt des formations voisines, voire étrangères. De France et
d’Angleterre, des maîtres viennent visiter les installations de
Il a le don inné de prévoir l’événement et de s’y préparer.
Ses succès sont ceux du réformateur et du visionnaire. Réfléchissant aux
besoins en lits d’hôpital au cas où une offensive libératrice ferait
quelque jour progresser notre armée, il insiste pour que soient construits, à
la limite du territoire national non occupé, deux vastes hôpitaux de réserve,
car la pensée d’un recul possible ou de la fin de la guerre sur les positions
existantes ne l’affleure pas. La prudence du service de santé de l’armée
se cabre vis-à-vis de tels projets « mégalomanes ». A nouveau deux
conceptions s’affrontent. En dépit des défenses imposées, Depage n’hésite
pas à faire montre d’indiscipline en mettant sur pied les formations
sanitaires prévues qui s’avéreront très bénéfiques quelques mois plus
tard quand la guerre de mouvement aura repris. La fin des hostilités coïncide
avec l’apogée de sa gloire. On le fête au cours d’une réunion
extraordinaire de
Président de
Conseiller communal de Bruxelles dès 1908, il combat au sein de cette
assemblée, les vues, à son avis étriquées, du conseil des hospices de l’époque.
Il veut une politique hospitalière en rapport avec les exigences d’une
population en grand développement. Dan ce but, il rédige avec ses amis
Vandervelde et Cheval un gros volume
En 1920, fort des appuis que lui valent des sympathies américaines et
notamment la fondation Rockefeller, il projette de créer un nouvel hôpital indépendant
des pouvoirs publics et en particulier de la tutelle de
S’il abandonna ou presque la pratique chirurgicale, il consacre désormais
le meilleur de lui-même à des projets de réforme sanitaire. Déjà en 1917,
au cours des rares moments libres que lui laissait son activité de chirurgien
et de chef d’hôpital, il avait consigné dans une brochure intitulée
simplement Pages écrites à
Désormais, c’est par la parole et par la plume qu’il reprend les thèmes
auxquels il est depuis toujours attaché et qui heurtent souvent l’opinion car
ils sont en avance sur l’époque. Mais les forces de ce grand lutteur le
trahissent prématurément. Il meurt à soixante-trois ans des suites d’une opération.
Ainsi se terminaient une vie passionnée et une œuvre que les
circonstances exceptionnelles de la guerre avaient rendue particulièrement
efficace : œuvre d’animateur intransigeant, de rénovateur despotique
mais sagace.
Armand Colard – Biographie Nationale.