de SELLIERS de MORANVILLE, Chevalier Antonin, L.-M.-G.
Né à Saint-Josse-ten-Noode, le 12 janvier 1852, décédé à Ixelles, le 17 avril 1945.
Lieutenant-Général de l'Infanterie.
Inspecteur-Général de l'Armée, 1914-1919.
Chef d'État-Major Général de l'Armée, 1914.
Commandant du Corps de la Gendarmerie, 1904-1914.
Chef d'État-Major de la 4ième Circonscription Militaire, 1901-1904.
Grand Officier de l'Ordre de Léopold et de l'Ordre de la Couronne, Croix de Guerre 1914-1918 avec Palme, Médaille Commémorative de la Campagne 1914-1918, Médaille de la Victoire, Médaille Commémorative 1870-1871, Croix Militaire de 1re Classe, Médaille Commémorative du Règne de Léopold II, Médaille Commémorative du Centenaire.
Grand Croix de l'Ordre de Sainte-Anne de Russie, Honorary Knight Commander Order of Saint Michael and Saint George Grande-Bretagne, Grand Officier de l'Ordre d'Orange-Nassau de Pays-Bas et de l'Ordre du Christ de Portugal, Chevalier de l'Ordre du Sauveur de Grèce, de l'Ordre de la Légion d'Honneur de France et de l'Ordre de la Couronne d'Italie.
Fils de Léonard et de Françoise-Adèle Pangaert d’Opdorp, Antonin de Selliers de Moranville entre à l’Ecole Militaire le 24 octobre 1869. Il y suit les cours en qualité d’élève de la 35e promotion (1869-1874), section artillerie et génie. Pendant la campagne de 1870, l’Ecole est temporairement fermée. Au cours de cet intermède, Antonin participe à la garde de nos frontières. Il le fait en qualité de volontaire au 2e régiment d’artillerie où il porte le grade de brigadier. Il retrouve le bâtiment de la rue de Namur à Bruxelles le 1er octobre 1870.
Le 14 novembre 1871, Antonin est promu élève sous-lieutenant. Il quitte l’Ecole Militaire et est admis à titre définitif au sein de l’artillerie le 17 mars 1874. Le jour suivant, il rejoint le 3e régiment d’artillerie. Une année plus tard, il est nommé lieutenant. Le 16 février 1876, il épouse Octavie-Henriette-Jeanne Hector dont il aura huit enfants. Sa femme décédera en 1898. Antonin entre à l’Ecole de Guerre en août 1877. Il en sort adjoint d’état-major deux années plus tard. Il y retourne le 26 février 1881 en qualité de professeur suppléant du cours d’histoire militaire.
Aux élections de juin 1884, la lourde défaite des libéraux inaugure trente ans de prédominance catholique. Sous les gouvernements successifs de J. Malou et A. Beernaert, les fonctions de ministre de la Guerre sont exercées par le général-Major C. Pontus. C’est le 6 juillet 1884 que le lieutenant Antonin de Selliers de Moranville entre au cabinet du ministre. Deux mois plus tard, il obtient enfin le grade de capitaine.
Le travail au cabinet de la Guerre permet au capitaine de Selliers de prendre conscience de l’ampleur du mouvement prérévolutionnaire que se développe à Liège et surtout à Charleroi entre le 18 et le 30 mars 1886. Le lieutenant général baron van der Smissen rétablit l’ordre avec 20.000 hommes de troupes. Néanmoins, 18 grévistes périrent et de nombreux châteaux, cloîtres et usines furent incendiés aux cris de « A bas la calotte » et « A bas les châteaux ». Dans son rapport, le général van der Smissen attire l’attention sur le danger constitué par l’emploi d’une armée composée de prolétaires pour assurer le maintien de l’ordre. Le risque de fraternisation entre soldats et grévistes existe. Sous le choc des événements, la bourgeoisie semble un instant prête à laisser incorporer ses enfants. Mais, une fois l’alerte passée, ceux-ci continuent, jusqu’en 1909, à se libérer du service militaire grâce au remplacement par paiement. La bourgeoisie ne considère qu’une autre solution comme possible au système de remplacement : l’armée de métier. Dans un article publié dans la Revue Générale sous la signature A. de S. , le capitaine de Selliers accuse les partisans du volontariat non pas d’antimilitarisme, mais plutôt de naïveté et de manque de clairvoyance.
C’est le 8 avril 1886 que de Selliers est admis dans le corps d’état-major (Les « Verts »), la pépinière des cadres supérieurs. Le 29 septembre 1893, il rejoint, toujours en qualité d’attaché, le cabinet du nouveau ministre de la Guerre, le lieutenant-général J. Brassine. Celui-ci a obtenu de ses collègues ministres la promesse de pouvoir introduire un projet de loi prévoyant la suppression du remplacement. Un premier projet est soumis au conseil des ministres en 1895, un second, en juin 1896, et un troisième le 10 novembre 1896. Tous ces textes sont imprégnés des idées défendues par le général en retraite H.A. Brialmont : la suppression du remplacement, un effectif sur pied de guerre de 180.000 hommes, et un contingent annuel de 18.000 soldats. Le caractère novateur de ces principes est tempéré par l’exemption du clergé et une réduction sensible de la durée du service militaire. La crainte de heurter Charles Woeste amène les collègues de Brassine à ne pas tenir leur promesse. Le général Brassine en tire les conclusions qui s’imposent et démissionne. Aucun autre militaire n’acceptera la fonction. C’est le « civil » J. Vandenpeereboom qui lui succède.
Entre-temps, le 25 juin 1896, de Selliers est nommé major et, un mois plus tard, commandant en second de l’Ecole de Guerre. En 1899, il accède successivement aux fonctions de sous-directeur et de directeur des opérations au ministère de la Guerre. Lieutenant-colonel en 1900, il est nommé chef d’état-major de la 4e circonscription militaire dès l’année suivante. En 1902, il accède au grade de colonel. Lors des grèves de cette même année, il fait preuve de doigté et de fermeté dans le maintien de l’ordre.
Pour cette raison, mais aussi parce que de Selliers est un des rares officiers supérieurs de conviction catholique, le gouvernement lui demande d’accepter le commandement de la gendarmerie. A cette époque, les fonctions d’officier au sein du corps de la gendarmerie sont moins prisées qu’au sein du reste d’armée. Après avoir longuement hésité mais, par suite de l’insistance de ses amis, de Selliers est nommé, le 27 décembre 1904, commandant de la gendarmerie. Il est promu général-major le 26 juin 1907. A l’occasion de la suppression du remplacement, il se montre un chaud partisan du gouvernement catholique et en particulier de son chef, F. Schollaert. Antonin de Selliers est promu au rang de lieutenant général le 26 mars 1912.
Sous la direction éclairée de de Selliers, l’entraînement militaire des gendarmes est accentué. En effet, à chaque mobilisation précédente, la gendarmerie a été amenée à constituer des escadrons de guerre. Or, depuis 1904, la menace de la guerre n’a cessé de croître. Néanmoins, la multiplication des exercices militaires nuit à l’exécution des missions normales de la gendarmerie. Cela soulève donc de nombreuses protestations de la part des autorités judiciaires et administratives.
Cependant, dès cette époque, les principales tâches qui seront confiées à la gendarmerie pendant la guerre apparaissent : assurer la mobilisation et la surveillance des frontières, constituer l’escorte du commandement en chef et les détachements prévôtaux, affecter un peloton à cheval à chaque brigade mixte, et poursuivre sa mission normale avec le reste de ses hommes.
Dans le but d’introduire le service généralisé, le chef du gouvernement Charles de Broqueville exerce lui-même, à partir du 11 novembre 1912, les fonctions de ministre de la Guerre. Avec l’appui de son ami G. Helleputte, du cardinal J. Mercier et de son excellent collaborateur le commandant A. Collon, il clôture victorieusement sa campagne le 30 août 1913. La nomination de Collon au grade de major, à l’encontre du principe de l’ancienneté, le 26 mars 1913, oblige de Broqueville à se séparer de celui-ci sous la pression du Roi et de nombreux officiers. Le chef du gouvernement se trouve alors amené à s’appuyer davantage sur de Selliers. A la demande du Roi, le colonel L. de Ryckel est nommé le 15 décembre 1913 aux fonctions de sous-chef d’état-major général. Cet officier libéral, intelligent mais intrigant, est un adversaire de son supérieur immédiat, le chef d’état-major, le général Auguste De Ceuninck. L’accession de celui-ci à la pension en avril 1914 empêche la rivalité de s’envenimer. De Broqueville obtient que de Selliers remplace Auguste De Ceuninck. Ce dernier est d’abord nommé chef d’état-major intérimaire, le 25 mai 1914, avant d’être nommé à titre définitif le 15 juillet. Néanmoins, cette nomination n’est pas heureuse car de Selliers ne s’entend pas avec de Ryckel. D’autre part, le Roi s’entretient très peu avec le chef d’état-major. Il lui préfère de Ryckel et surtout son officier d’ordonnance, le commandant Emile Galet.
Cet rivalité se répercute au niveau des plans de défense. De Ryckel prône la réunion de toute l’armée de campagne sur la Meuse, dans la région de Liège, Visé, Engis et Odeur. Cela constitue, selon lui, la meilleure position pour accepter le combat en cas d’agression allemande. Le capitaine-commandant Galet, lui, est partisan d’une défense active à partir de la frontière sur la base du principe du rapport des forces. De Selliers est encore d’un autre avis. Il propose, pour faire face à une attaque allemande, la concentration de l’armée dans la région de Saint-Trond, Houtain-l’Evêque, Hannut, Tirlemont, Hamme-Mille. Il existe encore un quatrième plan élaboré par le major Henri Maglinse, à la demande de de Selliers. Le 30 juillet, de Selliers défend son propre plan devant le Roi. En effet, le chef d’état-major estime qu’étant donné la faiblesse opérationnelle de l’armée et l’incertitude quant à l’agresseur, la position centrale est la meilleure. Elle permet d’éviter un écrasement des forces belges et facilite la jonction avec les armées étrangères de secours.
Le 2 août 1914 à 19 heures, le gouvernement belge reçoit l’ultimatum allemand. Il doit y répondre dans les douze heures. En échange de la garantie de l’indépendance de la Belgique et de ses possessions, le libre passage doit être accordé à l’armée allemande. L’Allemagne s’engage à payer tous les frais. En cas de refus, la Belgique sera considérée comme ennemie. A 21 heures 15, une réunion se tient au palais royal sous la présidence du Roi. A ce conseil participent les généraux de Selliers, de Ryckel et E. Hanoteau, ainsi que le secrétaire général du ministère des Affaires Etrangères, L. van der Elst, et la plupart des ministres. De Broqueville réussit à convaincre les participants qu’il convient de défendre le pays. Sur la manière d’agir concrètement, de Selliers et de Ryckel s’opposent. Le premier propose de livrer bataille sur une position qu’il estime bonne, mais pas sur celle de la Meuse, avant de se replier vers Anvers. Liège et Namur se défendront uniquement avec leurs troupes de forteresse. Hanoteau se rallie à cet avis. De Ryckel veut par contre « piquer dedans » si le rapport des forces le permet. Il désire également adjoindre une division d’armée de campagne aux forts de Liège et une autre aux forts de Namur. Le Roi choisit le camp du sous-chef d’état-major. Depuis ces événements, il a été découvert qu’en réalité de Ryckel avait été en cette occasion le porte-parole du Souverain et de son conseiller Galet. A la suite de cette réunion, un conseil de la couronne, auquel les trois généraux participent, est tenu. De Broqueville parle presque toujours au nom de l’armée. De Selliers signale qu’un neutre qui se défend ne se met pas en guerre.
La décision de disposer l’armée de campagne sur la Meuse n’est pas exécutée. En effet, les plans de transport par chemin de fer sont quasi inexistants à la cause de l’absence de toute concertation avec l’administration des chemins de fer. La défense de Liège est confiée aux seules troupes de forteresse, soutenues par la 3e division d’armée renforcée, tandis que les autres divisions d’armée se concentrent entre la Gette et la Dyle dans le quadrilatère de Louvain, Tirlemont, Wavre et Perwez. La division de cavalerie se porte à l’avant entre la Gette et la Meuse. Cette solution moyenne se révèle la meilleure, la masse de l’armée étant disposée de manière à tendre la main aux Franco-Britanniques sans risque d’être écrasée isolément. Le nombre des défenseurs de Liège est suffisant et une retraite vers Anvers demeure possible.
Après la chute de Liège, et étant donné le risque de débordement, l’armée belge se retire à partir du 18 août en direction d’Anvers. Au sein du commandement de l’armée, d’importantes failles sont apparues. Le général de Ryckel discute fréquemment de la situation militaire avec le commandant Galet sans en référer à son supérieur. L’optimisme du sous-chef d’état-major s’est totalement évanoui. De même, le Roi omet de tenir de Selliers au courant des dépêches diplomatiques qui relèvent de sa compétence. Le Roi et de Selliers sont également en désaccord quant à la première sortie d’Anvers, les 25 et 26 août 1914. Enfin, signalons encore l’existence d’une tension latente entre le chef d’état-major et le commandant de la position fortifiée d’Anvers.
Le 6 septembre 1914, un arrêté royal supprime la fonction de chef d’état-major de l’armée. De cette manière, le Roi assura sa mainmise sur le commandement. Il exerce celui-ci avec l’appui de son conseiller E. Galet, par l’entremise du nouveau sous-chef d’état-major, le souple et complaisant Wielemans. Celui-ci remplace de Ryckel, envoyé en Russie en qualité de délégué belge auprès du Tsar. Le général de Selliers est nommé inspecteur général. Dans l’exercice de cette fonction, il mène quelques enquêtes. Il s’enquiert notamment des raisons de la faible résistance des troupes à Termonde le 4 septembre 1914. Il se penche aussi sur la soi-disant fuite de la 4e division d’armée, sur le sort des volontaires…
L’excellent rapport qu’il rédige sur le dernier objet cité a certainement motivé sa nomination, le 3 octobre 1914, à la fonction de commandant des centres d’instruction. De Selliers rassemble les quelque 20.000 volontaires, augmentés des miliciens de la classe 1914, qui se sont présentés et les mène en Normandie. Dans cette région de la France, il dépolie ses talents d’organisateur en créant ex nihilo différents centres d’instruction pour officiers, sous-officiers, recrues… Arrivé à l’âge de la pension le 24 mars 1917, il est maintenu en fonction et commissionné général de réserve. Entre le 23 mai 1917 et le 25 février 1918, à l’occasion d’une absence du général Leclercq, il assume également les fonctions d’inspecteur général de la gendarmerie. Il interrompt ses activités militaires et prend effectivement sa retraite le 18 février 1919.
Jusqu’à la fin de sa vie bien remplie, le général Antonin de Selliers de Moranville a conservé un caractère aimable qui a fait de lui un personnage attachant. Il est aussi l’auteur d’un grand nombre d’articles et de livres.
Luc De Vos – Biographie Nationale.