de WITTE de HAELEN, Baron Léon, A.-E.-B.

Né à Ixelles, le 12 janvier 1857, décédé à Meer, le 15 juillet 1933.

 

Luitenant-Général de la Cavalerie.

Inspecteur-Général de la Cavalerie, 1915-1919.

Commandant du Corps de Cavalerie, 1915-1918.

Commandant de la 1er Brigade de Cavalerie, 1913-1915.

Commandant de la 2ième Brigade de Cavalerie, 1910-1913.

Commandant de la 1er Régiment de Guides, 1906-1910.

 

Grand Croix de l'Ordre de Léopold avec Palme, Grand Officier de l'Ordre de la Couronne avec Palme, Croix de Guerre 1914-1918 avec Palme, Médaille de l'Yser, Médaille Commémorative de la Campagne 1914-1918, Médaille de la Victoire, Croix Militaire de 1re Classe, Médaille Commémorative du Règne de Léopold II, Médaille Commémorative du Centenaire.

Grand Croix de l'Ordre de Sainte-Anne avec Glaives de Russie, de l'Ordre du Tigre Zébré de Chine et de l'Ordre de l'Épée de Suède, Grand Officier de l'Ordre du Bain de Grande-Bretagne, Commandeur de l'Ordre des SS. Maurice et Lazare d'Italie, de l'Ordre du Double Dragon de Chine, de l'Ordre du Lion et du Soleil de Perse et de l'Ordre de la Légion d'Honneur de France, Croix de Guerre 1914-1918 avec Palme France, Médaille de la Jubilé du Roi George V de Grande-Bretagne.

Huit Chevrons de Front.

 

 

Entré à l’Ecole Militaire le 16 novembre 1874 (section des armes spéciales), sous-lieutenant à l’Ecole d’Application en 1878, il demandait son passage à la cavalerie et était nommé sous-lieutenant aux 2e Chasseurs à Cheval en 1870.

Cavalier dans l’âme, élevé par la vieille école dans le culte des sabreurs illustres, le général de Witte était le type le plus représentatif de l’officier de cavalerie d’avant-guerre.

Breveté d’état-major en 1887, aide de camp des généraux Mathilde et de Wykerslooth de Rooyensteyn, il était, en 1906, chef du corps du 1er Guides.

Sportsman accompli, il avait conservé une vigueur physique extraordinaire. Il écrivait bien et parlait encore mieux.

Sa brochure signée O. Dax : « Situation de la Belgique en présence d’un conflit franco-germanique », en 1911, avait eu un grand retentissement. Le général de Witte y préconisait l’abandon de notre neutralité et une alliance militaire avec l’Allemagne.

En 1913, le général de Witte prenait le commandement de la division de cavalerie nouvellement créée.

Mon frère aîné, le général M. Tasnier, alors capitaine d’état-major, issu de l’infanterie, fut désigné pour faire partie de l’état-major. C’est lui, puis le général de Witte lui-même, qui m’ont conté la nuit du 11 au 12 août 1914, passée, dans un petit estaminet de Kortenaken, à l’examen de la situation puis à la rédaction des ordres pour la journée historique du lendemain. La division de cavalerie avait passé les journées du 10 et du 11 en garde le long de la Gete, tenant les passages de Dries, Budingen, Geetbets et Halen. Des reconnaissances audacieuses et des communications téléphoniques avaient permis de suivre le mouvement des divisions de cavalerie allemande vers Alken-Hasselt. Des patrouilles de hussards et de cuirassiers s’étaient présentées devant nos postes à Geetbets et à Halen, laissant des prisonniers et des documents entre nos mains.

Les ordres du G.Q.G. pour le 12 août disaient : « Il y a lieu de supposer qu’un mouvement de cavalerie allemande s’effectue de Saint-Trond et environs, vers Hasselt, pour se porter ensuite vers le nord de Diest. La mission de la division de cavalerie est de couvrir le flanc gauche de l’armée . » Le 12 août, à l’aube, le général de Witte remit l’étendard au 5e Lanciers : « Lanciers du 5e régiment ! J’ai l’honneur de remettre cet étendard, au nom du Roi, entre les mains de votre chef du corps, qui en aura désormais la garde. Cette terre que nous foulons, cette terre fertilisée par le sang auguste de nos aïeux, doit demeurer belge. Nous vivants, l’ennemi teuton n’y pourra prendre pied. Lanciers du 5e régiment, jurez avec moi de mourir jusqu’au dernier, plutôt que d’abandonner cet emblème sacré de la Patrie, plutôt que de forfaire à l’honneur. Nous serons vraisemblablement attaqués aujourd’hui. Je veux que nous vainquions, mais si telle n’est pas la volonté de la Providence, j’espère pouvoir montrer à l’ennemi comment un général belge sait mourir. »

La division de cavalerie comportait deux brigades (la 1er commandée par le général major de Monge et composée des 1er et 2e Guides, la 2e commandée par le général major Proost et composée des 4e et 5e Lanciers), le bataillon des carabiniers cyclistes du major Siron, le groupe des trois batteries à cheval du major Piette et la compagnie des pionniers-pontonniers du commandant Dujardin.

D’après les ordres donnés par le général de Witte, les troupes occupaient les emplacements suivant : A Diest, se trouvait la compagnie des pionniers-pontonniers cyclistes. Un escadron du 4e Lanciers et deux pelotons de la 2e compagnie cyclistes gardaient le passage de Zelck. A Haelen, la défense des ponts minés était confiée à la 3e compagnie de carabiniers cyclistes, renforcée d’abord d’une section de mitrailleuses, puis de deux pelotons de la 1er compagnie de carabiniers cyclistes. Un escadron du 1er Guides était chargé d’interdire le passage de la Gete à Geetbets, où le pont était détruit, tandis qu’un escadron du 2e Guides assurait la même mission à Budingen. A Dries, le pont barricadé était défendu par le 3e peloton de la 2e compagnie de carabiniers cyclistes. Des trois batteries à cheval, soutenues par un escadron du 2e Guides, la 1re prit position dès l’aube du 12 août au mamelon 55 au S.-E. de Hontsum, les 2e et 3e étaient maintenus en position d’attente au mamelon 69 N.-O.- N. de ce hameau. Les deux brigades que le général de Witte avait conservées au château de Blekkom furent, aux premiers coups de feu entendus à Haelen, déployées : le 5e Lanciers et deux escadrons et demi du 4e Lanciers aux lisières est de Loksbergen, trois escadrons du 1er Guides et deux escadrons du 2e Guides en prolongement des Lanciers, dans le secteur compris entre la Velpe et le chemin pavé de Loksbergen à Haelen.

Il était 8h.10 quand les premiers coups de feu éclatèrent vers cette localité. C’était une reconnaissance ennemie qui, imprudemment hasardée aux approches du pont, venait de se faire décimer. Un des cuirassiers blessés, reconnaissant des bons soins que les cyclistes lui prodiguaient, les prévint de ce qu’ils seraient bientôt aux prises avec six régiments de cavalerie, accompagnés d’artillerie.

La première escarmouche de 8h.10 au pont de Haelen fut suivie d’une accalmie, mais la fusillade recommença bientôt, cette fois contre des cavaliers ennemis et des cyclistes combattant en tirailleurs. Vers 10 heures, cette ligne, parvenue jusqu’à 100 mètres de la Gete, fut clouée sur place. Cependant, la position des carabiniers, sommairement organisée, devenait précaire. Le capitaine Derenne, voyant ses deux pelotons débordés sur les ailes par l’afflux toujours croissant des tirailleurs ennemis, fit retirer les défenseurs sur la rive gauche de la Gete et ordonna la destruction des ponts. A peine les explosions se furent-elles produites, que l’artillerie ennemie ouvrit le feu sur Haelen. Les premiers obus éventrèrent les maisons attenantes au pont de la route de Herk-de-Stad et bouleversèrent la barricade élevée par les cyclistes. Cet obstacle était désormais intenable et les carabiniers se replièrent méthodiquement vers leur 3e peloton, qui occupait le passage à niveau, tandis que les deux pelotons de la 1re compagnie cycliste du commandant Vandamme tenaient, l’un, à droite, le coude de la voie ferrée, l’autre, à gauche, l’extrémité nord de la station ; les mitrailleuses prirent position de façon à battre les débouchés ouest de l’agglomération.

Durant une demi-heure encore, l’ennemi arrosa Haelen de ses obus. Vers 11h.45, le bombardement cessa et une colonne de cavalerie qui, grâce à la destruction imparfaite du pont, avait pu aisément franchir la Gete, traversa Haelen au galop et se présenta aux lisières. La ligne des carabiniers la reçut par un feu rapide, tandis qu’à un signal convenu, la 1re batterie à cheval couvrit de ses projectiles la chaussée axiale du village.

La colonne ennemie fut arrêtée net.

La tentative que la cavalerie allemande fit simultanément à Zelck s’acheva si piteusement qu’elle ne le renouvela pas de ce côté. L’ennemi persista néanmoins dans son intention de déboucher de Haelen et sacrifia à cette résolution ses magnifiques escadrons qu’il lança en de folles charges, en masse, contre le mur de feu de nos carabiniers et de nos mitrailleuses.

La résistance des cinq pelotons cyclistes, seuls sur le chemin de fer, ne pouvait guère se prolonger. Menacés d’enveloppement, ils se replièrent vers la ferme de Yserebeek, lentement, en tiraillant, en contrariant durant une heure encore le débouché de l’adversaire, qui ne parvint qu’à 16 heures à garnir à son tour le remblai du chemin de fer. Et là encore, nos carabiniers, arrêtés à 400 mètres au N.-E. de l’Yserebeek, le clouèrent jusqu’au moment où, le feu ennemi s’intensifiant constamment par l’apport de renforts, le major Siron ordonna le repli sur la ligne des lanciers. Le commandant Van Damme venait d’être tué. Le capitaine Panquin, mortellement atteint, eut encore l’énergie de communiquer l’ordre de repli.

Ce mouvement s’ébauchait à peine, quand un escadron de dragons à cheval, débouchant des haies de la lisière de Haelen, chargea à bride abattue, en colonne, sur les cyclistes, qui s’arrêtèrent aussitôt et désagrégèrent cette masse dont les débris allèrent dériver en panique à hauteur de la 1re batterie à cheval.

Avant de céder enfin aux cavaliers belges la part du combat qu’ils avaient si glorieusement accaparée durant cinq heures, les carabiniers cyclistes eurent encore l’occasion de vaincre le téméraire entêtement des cavaliers allemands chargeant en colonne. En effet, méprisant la leçon que comportaient les premières échauffourées, un deuxième escadron apparut bientôt dans la même formation et, chargeant droit cette fois sur la ferme « Yzere Beek », s’exposa au tir enragé des cyclistes et procura au 2e escadron du 4e Lanciers, comme baptême du feu, l’occasion de faire une extraordinaire hécatombe. Deux pelotons ennemis furent culbutés, les deux suivants tournèrent bride. Un troisième escadron, suivant immédiatement, subit le même sort devant la ferme. Une quatrième charge d’éléments frais vint s’écraser contre la clôture en fils de fer qui protégeait le 3e escadron du 4e Lanciers.

Enfin, deux ou trois escadrons, avec étendard, débouchèrent par le nord de Velpen, se déployèrent et se lancèrent à la charge vers le front du 5e Lanciers, qui prolongeait au sud la défense de la ferme. Pris en flanc, à gauche, par une partie des tirailleurs du 2e Guides, qui se repliaient de Velpen, à leur droite, par la section de mitrailleuses cyclistes, battus de front par les escadrons du 1er Guides, déployés en échelon du 5e Lanciers, ces escadrons allemands, subissant des pertes énormes, remontèrent vers le nord, en masse confuse. Les survivants vinrent terminer leur folle chevauchée au ruisseau, abattus par les carabines du 3e escadron du 4e Lanciers.

Il était 14 heures quand l’ennemi renonça à nous offrir en hécatombe de nouveaux escadrons.

Je laisse la parole au général Tasnier : « Un grand silence tombe sur le champ de bataille. Il dure peu. A la faveur des charges, l’attaque à pied s’accentue et progresse ; elle s’embusque au creux des chemins, derrière les moissons et les haies. Le bruit sinistre des mitrailleuses éclate et se propage. Il en est devant la ferme « Yzere Beek », sur laquelle nos cyclistes, à bout de forces, ont dû se replier ; là-bas, leurs deux capitaines, Van Damme et Panquin, sont étendus, la tête trouée. Il en est dans Velpen, il s’en révèle partout. Le canon tonne au nord du hameau et vers la station de Haelen ; les obus brisants s’abattent sur toute notre ligne ; ils assaillent nos batteries, délogent de la ferme, qu’ils incendiaient, les lanciers du 4e régiment qui emportent les corps de leurs deux chefs, major Bourgouis et capitaine Demaret, tués. Le feu redouble ; les munitions sont épuisées, les hommes exténués. L’assaut paraît imminent. Qu’il réussisse, et c’est la désastre, tous nos chevaux dispersés, la division anéantie. Tenez toujours, cavaliers ; tenez jusqu’à extermination, la division est en péril et son honneur est en suspens. »

Debout devant Loksbergen, sous les shrapnells qui éclatent serrés, le général de Witte, calme et confiant, parle : « Le sort est fixé : les cavaliers allemands n’avanceront plus, ils sont battus. Mais il ne suffit pas de les avoir arrêtés, il faut les chasser. Portez aux batteries de la 4e brigade l’ordre de monter vers le moulin et de faire taire les canons ennemis. Pressez la marche des bataillons ; la journée s’avance et notre temps est compté. Il faut qu’à la nuit close, nous ayons fait place nette. »

D’autres diront ce que fut l’intervention de l’infanterie. La bataille de Haelen, succès éphémère, a pris dans le recul du temps la valeur d’un symbole.

En 1924, le Roi faisait le lieutenant général de Witte Grand Cordon de l’Ordre de Léopold et l’autorisait à faire suivre son nom patronymique de celui du petit village flamand qui, le 12 août 1914, vit la fuite de la plus fameuse cavalerie de l’époque.

Le vainqueur, après l’Armistice, par des brochures, des conférences, a fait connaître dans ses moindres détails la bataille de Haelen.

Puis, l’oubli se fit. La guerre, hélas ! est pour beaucoup une simple parenthèse.

Le lieutenant général Baron de Witte de Haelen se retira de la vie publique.

Il n’a pu réaliser son rêve : mourir pour la Patrie. Cette mort sur le champ de bataille, qu’il r’avait pas trouvée à Haelen, il la chercha sur l’Yser. Quand des cavaliers démontés montèrent la garde aux tranchées, ce « paladin » leur rendit visite, en plein jour, dans les postes les plus avancés.

Et je sais plus d’un vaillant officier de son état-major qui fut à ses côtés au redan du Passeur, comme dans les postes aquatiques et dans les ruines d’Oudstuivekenskerke.

Lé général de Witte montra durant toute la guerre pour le danger une indifférence totale et pour la mort elle-même un mépris hautain.

Sa forte personnalité imposait le respect de ses convictions. Au-dessus de tout, il aima son pays.

 

Major L. Tasnier – Le Courrier de l’Armée.