FRANCK, Louis.

Né à Anvers, le 28 novembre 1868, décédé à Wijnegem, le 31 décembre 1937.

 

Ministre d'État.

Ministre des Colonies, 1919-1924.

Membre de la Chambre des Représentants.

Gouverneur de la Banque Nationale de Belgique, 1926-1937.

 

Grand Croix de l'Ordre de l'Étoile Africaine, Grand Officier de l'Ordre de Léopold avec Rayure d'Or, Médaille Commémorative du Comité National 1914-1918, Médaille Commémorative du Centenaire.

Grand Croix de l'Ordre du Lion d'Or de la Maison de Nassau Luxembourg, de l'Ordre Royal de Victoria de Grande-Bretagne, de l'Ordre d'Isabelle la Catholique d'Espagne, de l'Ordre de l'Étoile Noir de Bénin, de l'Ordre du Christ de Portugal, de l'Ordre de la Couronne de Roumanie et de l'Ordre de la Couronne d'Italie, Grand Officier de l'Ordre de la Légion d'Honneur.

 

Musée Colonial de Tervueren.

le Roi Haakon VII de Norvège, Ministre des Colonies Franck et le Roi Albert.

 

FRANCK, Louis-Marie-François, juriste, homme politique, gouverneur de la Banque Nationale de Belgique, né à Anvers le 28 novembre 1868, décédé à Wijnegem-lez-Anvers le 31 décembre 1937.

Il fit ses études à l’Ecole communale et à l’Athénée d’Anvers puis à l’Université libre de Bruxelles. Il emporta en 1884 et en 1886 le premier prix en langue français et en langue flamande aux concours généraux des athénées et se révéla déjà alors organisateur, orateur, défenseur des humbles, démocrate-né, écrivain prometteur, polémiste convaincant, flamand enthousiaste. A l’Athénée il créa le cercle « Studie », dirigea l’organe de celui-ci : De Schoolgalm et publia plusieurs essais remarqués : Jan Van Beers (1883), De Poesjen (1884), Pol De Mont (1884), Victor Hugo (1885). A l’université, il créa le Cercle Universitaire (1895) qui exerça une influence profonde sur ses membres pendant dix ans, fut l’un des fondateurs de la Revue Universitaire et collabora au Journal des Etudiants. Il fut un des animateurs d’un groupe où se signalèrent Louis Wodon, Félicien Cattier, Henri Jaspar, Paul-Emile Janson, Emile Vandervelde, Jules Bordet, Adolphe Max, Auguste Vermeylen, Jean Massart.

Au cours de cette période s’épanouirent ses goûts pour la littérature et les arts, sa connaissance étendue des langues étrangères, sa probité intellectuelle, son esprit combatif. Sa production littéraire, dont la qualité vaut celle de beaucoup d’écrivains de métier, le fit remarquer rapidement. Il collabora à Onze Kunst et l’Art Moderne, fut l’un des principaux animateurs de la revue Van Nu en Straks, si importante dans l’histoire de la littérature flamande, et fut un des fondateurs du périodique De Vlaamsche Gids. Bien d’après ses études universitaires il ait publié surtout des travaux ou de portée politique, ses aspirations littéraires et artistiques restèrent très vivaces. Il publia d’intéressant récits de voyage (Oud- en Jong Turkije, Het Land van Manâna) des extraits d’un journal de son séjour de neuf mois au Congo et de très nombreux articles sur des artistes, des écrivains, des hommes politiques, des problèmes sociaux et linguistiques. Il créa, avec son frère François, collectionneur anversois de renom, les très vivantes associations »Kunst van Heden « et « Maatschappij der Nieuwe Concerten ».

Son ascension fut très rapide au barreau d’Anvers. Après avoir brillé aux Assises et en correctionnelle, il devint spécialiste des affaires maritimes. Avant la fin du siècle, il avait acquis une réputation considérable dans ce domaine, non seulement en Belgique, mais aussi à Londres, Copenhague, Hambourg, Rotterdam, Berlin, Paris. Il avait été heurté très tôt par les conflits de lois en matière maritime. Jugeant que seule la coopération internationale pouvait remédier aux suites souvent lamentables de cet état de choses, il exposa ses idées au Congrès de l’International Law Association tenu à Bruxelles en 1895 – il participait dès cette époque à nombre de congrès internationaux où il se sentait parfaitement à l’aise –, il entreprit l’an d’après une série de conférences sur le droit maritime internationale au Jeune Barreau d’Anvers, rallia à ses idées Charles Le Jeune, depuis longtemps préoccupé par ces problèmes, et grâce à l’appui de ce dernier parvint à créer, en 1892, le Comité Maritime International destiné à mettre de l’ordre dans un état de choses très confus. Bon tacticien, il confia les travaux de ce comité non à des théoriciens, des professeurs, des fonctionnaires éloignés des réalités, mais à des armateurs, des négociants, des juristes habitués à se mouvoir dans le labyrinthe de lois et d’usances divergentes.

Grâce à lui, le Comité Maritime International dont le siège fut fixé à Anvers, devint le centre des associations de droit maritime compétentes, mettant à l’étude les questions de droit susceptibles d’unification et les soumettant aux délibérations de Conférences internationales périodiques. La première association nationale – actuellement dénommée Association Belge de Droit Maritime – créée à l’initiative du comité susdit, fut organisée par Franck avec l’appui du ministre Beernaert. D’autres associations suivirent dans tous les pays d’Europe intéressés au transport par mer. Pendant plus de quinze ans, il fut la cheville ouvrière de l’association dont il devint président après la guerre de 1914-1918.

Pourtant ses travaux ne constituaient qu’une des facettes de la tâche qu’il avait assumée. Afin d’obtenir l’appui des gouvernements et la consécration parlementaire des accords adoptés en réunion, il parvint, en 1905, toujours grâce à Beernaert et avec l’appui de Le Jeune, à faire convoquer une conférence diplomatique à Bruxelles. Comme elle ne réussit pas à son entière satisfaction, il obtint de ne pas clôturer les travaux qui purent ainsi être poursuivis au cours de sessions ultérieures, réunies sur simple convocation de la Belgique, et qui aboutirent à l’adoption d’un grand nombre de règlements internationaux qui régissent la navigation pour ainsi dire sur toutes les mers du monde.

Là ne s’arrêta pas son activité sur le plan international. Il fut, pendant longtemps, secrétaire de l’Union Internationale de Droit Pénal, vice-président de l’International Law Association, prit une part importante aux conférences interparlementaires jusqu’en 1926, fut notamment un des fondateurs de la Conférence parlementaire internationale du Commerce. Il représenta la Belgique dans beaucoup d’autres réunions de ce genre et prêta son concours au Comité d’arbitrage et de conciliation entre la Suisse et l’Italie (1926), ainsi qu’au Comité d’arbitrage entre les Etats-Unis et la Bulgarie (1930).

Si, dans les questions juridiques internationales il n’a cessé de poursuivre l’unification des principes juridiques dominants, son objectif sur le plan juridique national fut la défense des intérêts des groupes non protégés.

L’essentiel de cette partie de son œuvre, commencée longtemps avant sa carrière politique, concerne la défense des droits de l’ouvrier, de l’agriculteur, des classes moyennes et surtout des droits linguistiques des Flamands.

Les débuts de ses interventions en faveur de la langue flamande se placent en 1896, au cours des fêtes du dixième anniversaire de la Conférence flamande du Barreau. Le discours qu’il prononça à cette occasion, Taal en Nationaliteit, élargissait le débat ; loin de s’en tenir aux revendications, se plaçant au-dessus des contingences politiques, il fit ressortir que les arts et les sciences puisent leur originalité dans la langue maternelle. Déjà auparavant, il avait donné des preuves de l’élévation de sa pensée en la matière, notamment au cours de procès où la question de l’emploi du néerlandais dans l’exercice de certaines fonctions était en cause. Jamais il ne changea de ligne de conduite. Et c’est aux classes dirigeantes du pays flamand qu’il attribuait le devoir d’entrer en contact avec la masse pour l’emploi et l’étude de sa langue.

Certains ont regretté que son œuvre juridique ne soit pas plus étendue. En effet, elle comporte peu de travaux de droit pur. Son essence est condensée dans ses consultations, plaidoiries et discours. Mais elle a trouvé également une expression parfaite dans son enseignement de droit maritime.

Il avait du goût pour l’enseignement qui le mettait en contact direct avec les nouvelles générations. Très jeune encore, il fit des conférences sur l’économie politique et le droit maritime à l’extension anversoise de l’Université de Bruxelles et, plus tard, à l’Université Nouvelle (actuellement l’Institut des Hautes Etudes) à Bruxelles. Le meilleur de lui-même, il le donna à l’Université de Bruxelles où, grâce à la fondation Sheid, il créa un Institut de droit maritime, rattaché à la Faculté de droit.

Ses convictions politiques et linguistiques devaient évidemment inciter les libéraux anversois dont il partageait les opinions fondamentales à rechercher son concours. Il se fit prier pendant longtemps mais finit par céder, en 1906, quand le bourgmestre Jan Van Ryswck eut abandonné sa charge à la Chambre. Pendant une carrière parlementaire de vingt ans, il acquit un ascendant considérable dans son parti ; il fut un des principaux agents de l’unification des divers groupes par la création du Conseil national. A la Chambre, il s’imposa également car, tout en accordant une attention particulière aux intérêts d’Anvers et à la question flamande, il préconisa des solutions habiles à nombre de problèmes importants de l’ordre national.

Jusqu’à la guerre il s’occupa avant tout de questions de l’ordre social, des intérêts du port d’Anvers, du mouvement flamand et de la reprise du Congo. Aussitôt votée la loi concernant le droit maritime, il entama une série de problèmes traduisant ses vues démocratiques, inaugurant l’évolution que le parti libéral accentuera peu à peu, et déposa successivement des projets relatifs aux commis et employés dont les intérêts n’avaient guère rencontré d’attention jusqu’alors, à la création d’un conseil de discipline pour les accidents de mer, aux locations des fermes et terrains de culture, au crédit à la petite bourgeoisie.

La loi de 1909 introduisant le service militaire personnel passa en grande partie grâce à sa diplomatie. Ses amendements et ceux de son collègue Mechelynck firent capituler le gouvernement et la droite catholique, hostiles au service personnel obligatoire. Le service fut ramené à quinze mois – non à un an comme il le désirait – le système du remplacement supprimé ainsi que la formule « un fils par famille » que soutenait la droite. Mais son amendement destiné à instaurer immédiatement le service général fut repoussé par la droite et certains socialistes. On affirme que s’il avait été voté, l’armée belge aurait pu aligner 380.000 hommes en 1914.

Tout aussi considérable fut son apport dans la lutte pour le suffrage universel dont il était un des partisans les plus convaincus. C’est lui qui signa, avec Vandervelde, le projet de loi modifiant la Constitution dans ce sens.

Il ne cessa de lutter pour donner aux Flamands un idéal linguistique capable d’élargir leur horizon culturel. La loi de 1910 sur l’emploi du flamand dans l’enseignement est l’une de ses grandes réalisations. Il supporta seul le débat sur le projet déposé depuis longtemps par le député Coremans, auquel l’Episcopat était hostile. Avec l’appui du président Schollaert, il parvint à faire envoyer ce projet en commission ; des semaines de manœuvres menées avec le député catholique Segers aboutirent à la signature du projet qui devint la loi Franck-Segers. CE vote fut considéré comme une victoire ; si l’opposition était disposée à reconnaître les droits des Flamands en matière administrative et judiciaire, il n’en était pas de même en ce qui concerne l’enseignement moyen et supérieur.

La lutte pour la flamandisation de l’Université de Gand l’associa à Van Cauwelaert et Huysmans, les « trois coqs chantants » - de drie kraaiende hanen – comme on appelait à l’époque ces hommes, les plus représentatifs du mouvement flamand de chacun des trois partis.

Les meetings de propagande débutèrent le 18 décembre 1910 à Anvers, conduisant les trois hérauts de ville en ville. Le projet Franck tendant à une flamandisation automatique mais progressive des facultés gantoises prit la suite de textes défendus antérieurement sans succès ; connu sous le nom de projet Franck-Van Cauwelaert-Anseele, et déposé le 31 mars 1911, il ne fut adopté par la Chambre que peu avant 1914. La bataille allait se déplacer de la Chambre au Sénat quand survint l’invasion. Il fallut attendre plusieurs années après la guerre, marquée par les trahisons activistes, avant de pouvoir reprendre la question dans une atmosphère plus sereine. Le 22 novembre 1922 le projet fut à nouveau déposé, dans les termes et avec les développements rédigés par Franck onze ans auparavant. Au cours de longs débats et de négociations ardues, il aboutit à la formule de la loi Nolf, à l’élaboration de laquelle il avait pris une part importante et qu’il défendit avec force. La flamandisation intégrale de l’Université de Gand ne fut votée qu’en 1930.

C’est avec la même âpreté et la même application qu’il défendit les intérêts de la ville d’Anvers au Parlement.

Lorsque, quelques années avant la guerre, le Roi, le gouvernement, le parti catholique d’Anvers et à peu près toute la presse avancèrent le projet de la « Grande coupure » modifiant le lit du fleuve entre Anvers et le Kruisschans, il opposa, avec l’appui de Jan van Ryswyck, aux conclusions de l’expert du gouvernement, l’ingénieur allemande Frantzius, celles de deux hydrographes hollandais : Conrad et Welcher, et obtint gain de cause.

Son activité au niveau local fut considérable ; nombre de propositions qu’il fit avant la guerre en faveur du port et de l’armement national aboutirent après celle-ci. Depuis 1911, il faisait partie de l’administration communale. Mais ce fut pendant la guerre qu’il donna toute la mesure de son intelligence, de sa fermeté et de son courage.

Quand la tourmente éclata, il se trouvait au Katanga. Il partit à l’instant même et arriva dans la joie éphémère par la victoire de la Marne. Le Roi, avant de quitter le réduit national, le fit appeler avec le bourgmestre De Vos et leur recommanda de veiller sur la métropole. A ce moment, il venait d’être nommé président de la Commission intercommunale chargée de veiller à la sauvegarde des quatre-vingt-deux communes de l’enceinte fortifiée. Les autorités civiles étaient seules le vendredi 10 octobre 1914, n’ayant pas été prévenues de la retraite ordonnée la nuit précédente par le général Deguise. Pour arrêter les destructions, Franck accepta, avec le bourgmestre et le sénateur Ryckmans, de prendre contact avec l’assiégeant en vue de faire cesser le bombardement. Ils y réussirent. Cette intervention a fait couler beaucoup d’encre. Pendant de longues années, les bavardages allèrent bon train en dépit de l’approbation du Roi qui, averti de cette cabale, envoya aux deux responsables de la ville un télégramme sympathique et élogieux.

La tâche du président de l’Intercommunale fut lourde, presque tous les bourgmestres et échevins des communes ayant fui. Outre ses fonctions présidentielles, Franck assuma, avec d’autres, la direction du Comité National de Secours et d’Alimentation pour la province d’Anvers et le pays de Waes. Avec Michel Levie, Fulgence Masson, Max Hallet et quelques autres parlementaires, il aida à la constitution d’une sorte de petit gouvernement occulte, approuvé par Le Havre, qui se réunissait presque chaque semaine à Bruxelles, après la séance du Comité National.

Il fut parmi les plus actifs pour grouper les bonnes volontés éparses, organiser la résistance, s’opposer aux réquisitions, aux contributions de guerre, aux déportations et surtout à l’activisme. Il ne cessa de tenailler l’occupant, usant d’un franc-parler dont celui-ci n’avait guère l’habitude. En 1914, ayant refusé au nom de la ville de payer une contribution de guerre, il fut arrêté une première fois. Le 4 mars 1918, il fut fait prisonnier dans son bureau de l’hôtel de ville et condamné à deux mois de prison et à l’internement jusqu’à la fin des hostilités. Au camp de Celle-Schloss il retrouva Braun, Digneffe, Lippens, Masson, Max et d’autres amis. Le 25 octobre, au moment de la demande d’armistice, il fut renvoyé en Belgique.

Peu après son retour, le 21 novembre 1918, il entra dans le premier gouvernement Delacroix, avec les libéraux Hymans et Jaspar. Il prit le portefeuille des Colonies, chargé à laquelle il était préparé de longue date. Dès sa jeunesse, il avait été enthousiasmé par l’œuvre coloniale de Léopold II, d’Albert Thys, de Felicien Cattier. Le Roi lui avait exposé, dès 1906, ses vues quant à l’avenir du Congo et l’avait gardé en particulière estime bien qu’il n’eût pas approuvé le projet de Fondation de la Couronne et qu’il fût favorable à la reprise du Congo. Franck s’était fait remarquer lors de la discussion du projet de loi relatif à la reprise, et avait vu adopter deux amendements auxquels il tenait beaucoup : le premier soumettait au contreseing ministériel les dépenses à faire sur le fonds spécial mis à la disposition du Roi, le second interdisait aux parlementaires de faire partie du conseil d’administration des sociétés coloniales où l’Etat avait un intérêt. Il avait prononcé à cette occasion un discours qui fut considéré, même à l’étranger, comme le plus démonstratif qu’on eût entendu sur la question coloniale.

Il garda son portefeuille près de six ans, dans les deux cabinets Delacroix, les cabinets Carton de Wiart et Theunis. Pendant quelques mois, il remplaça, à la Justice, Vandervelde, retenu par les négociations de la paix de Versailles. Dès qu’il put se libérer, il se rendit en Afrique en février 1920 et resta au Congo pendant près de neuf mois, après avoir étudié l’organisation des deux colonies anglaises devenues depuis lors le Kenya et l’Uganda, qui tenaient compte des institutions indigènes au maintien desquelles il attachait énormément d’importance. Ainsi il fit son expérience in vivo, ne se fiant pas uniquement à celle du personnel blanc d’Afrique, mais multipliant les contacts avec les chefs noirs, questionnant, donnant des conseils, décidant sur place.

L’œuvre coloniale de Franck se présente essentiellement sous un aspect économique et social. Il inaugura une nouvelle politique financière, abandonnant l’ancienne directive : « Le Congo ne doit rien coûter à la Belgique ». Il contribua à l’industrialisation par un ensemble de travaux ferroviaires, la refonte des grandes conventions économiques avec l’Union Minière et d’autres sociétés importantes, l’abandon des dernières grandes concessions léopoldiennes. Il organisa un nouveau type de régies autonomes à direction industrialisée mettant fin à l’étatisme colonial (Régie des Mines d’or de Kilo-Moto, Compagnie Cotonnière Congolaise, etc.). Thys, Francqui, Cattier lui apportèrent un concours précieux.

Il élabora une politique indigène rationnelle, veillant au bon traitement, à l’hygiène et au bien-être des individus. Tout en favorisant les grandes cultures européennes, il recommanda de ne pas négliger les petites cultures indigènes. Il s’efforça d’améliorer le régime alimentaire et de combattre les maladies endémiques et épidémiques. L’éducation des noirs, il la voulait essentiellement technique, associé à l’industrialisation, adaptée à leur milieu, donnée dans les langues indigènes, réservant à ceux qui étaient particulièrement doués une instruction plus semblable aux normes européennes.

Dans le domaine politique, il prit trois mesures essentielles : il réorganisa la justice sur base d’idée que le véritable juge de l’indigène devait être le fonctionnaire territorial pour les affaires d’une certaine importance, le chef indigène pour les autres, le magistrat professionnel contrôlant d’en haut ; il instaura une politique d’hygiène énergique, envoya des missions médicales, créa cinq écoles d’assistants médicaux noirs ; enfin il créa une véritable carrière coloniale en établissant un régime de pensions libéral et en ouvrant, en 1920, l’Ecole Coloniale Supérieure, transformée en Université Coloniale en 1923. Cette fondation ne fut possible que grâce aux dons du Comité National de Secours et d’Alimentation – dont il avait été un des principaux délégués – ainsi qu’à la générosité de la Commission for Relief in Belgium. L’Université Coloniale fut son œuvre de prédilection ; il présida à ses destinées jusqu’à ses derniers jours.

Par la parole et par l’écrit, il donna l’exemple de cette propagande intense et méthodique en faveur de l’idée coloniale qu’il désirait voir contribuer à transformer l’opinion publique longtemps rebelle à celle-ci. C’est dans ce but qu’il créa l’Office Colonial. C’est aussi pourquoi il favorisa la littérature coloniale et instaura un prix triennal dont le secrétaire permanent du jury fut Gaston-Denis Périer.

Un de ses beaux succès fut la cession par l’Angleterre du territoire de Kisaka, gouverné par le sultan Musinga. Il se dépensa sans compter auprès de Lord Milner, secrétaire d’Etat aux Colonies, et de Winston Churchill, il fit agir les missions comme la diplomatie et obtint le transfert de ce territoire sans compensation, fait peut-être unique dans l’histoire.

Il était partisan de la décentralisation mais se rendait compte que c’était une œuvre lente, progressive et collective, le ministre devant avoir la décision finale en attendant qu’elle fût assise sur des bases durables. Dans cette optique, il nomma gouverneur général Maurice Lippens qui avait une grande expérience personnelle des affaires industrielles, commerciales et des questions administratives. Mais la personnalité de ces deux hommes était trop forte pour ne pas provoquer de conflits et Lippens démissionna au début de 1923, refusant de transiger sur une question qu’il considérait comme essentielle.

Franck quitta le ministère des Colonies en 1924, retourna à son cabinet, à ses études, au Parlement et prépara une série de travaux relatifs au Congo. En 1924, il publia des Etudes de colonisation comparée, en collaboration avec de hautes personnalités du monde colonial anglais, français et néerlandais. En 1926, il publia Congo, Land en Volk et entreprit un ouvrage collectif monumental qui parut en 1928 : Le Congo Belge.

Après quelques mois de labeur, dans un isolement relatif, il revint à ses préoccupations en matière internationale. Même pendant son ministère, il avait brillé à la Conférence Internationale Interparlementaire du Commerce qui avait, depuis la guerre, repris l’étude du problème de la faillite et des conflits de loi qu’il soulève. Il avait préparé, avec Charles Dupont, le rapport qui aboutit à Prague, en 1923, à un avant-projet de convention. A cette occasion le comte Bettoni, sénateur italien, salua Franck comme « un des plus savants juristes internationaux de tous les pays ».

Son attention fut retenue avant tout par les dangers que suscitait l’inflation. Partisan d’une politique financière prudente, il avait, en mai 1913 déjà, fait une critique acerbe de la gestion financière du gouvernement catholique et causé une profonde impression en dénonçant les abus d’une politique d’emprunt à jet continu.

Quand, le 12 novembre 1925, le Cabinet Poullet-Vandervelde présenta le programme de stabilisation et un projet de loi prorogeant le privilège de la Banque Nationale, c’est Franck qui fut chargé par le parti libéral de signaler les inconvénients et les erreurs de méthode, dont la principale à ses yeux était que « rien de sérieux n’était fait au point de vue de la dette publique ». Il était tellement convaincu de l’exactitude de ses vues que, le 30 décembre 1925, après le vote des premiers projets et avant de partir en vacances, il crut de son devoir d’entretenir le Premier Ministre des risques inhérents à une demande massive de remboursement de bons du Trésor.

L’échec du projet de stabilisation de M.-A.-E. Janssen aboutit à la démission du Cabinet Poullet-Vandervelde. Franck joua un rôle déterminant pendant ces journées tragiques.

Le 5 mai, les débats de la veille ayant eu lieu dans une atmosphère de crise à la Chambre, il suggéra une entente entre tous les partis pour sauver la situation. Le 7 mai, M. Janssen donnait sa démission. Le 29 mai, Henri Jaspar constitua un ministère d’union nationale dans lequel Franck avait refusé d’entrer. Il ne se retira pourtant pas de la lutte, aida de toutes ses forces E. Francqui, ministre du Trésor, et soutint énergiquement la politique de redressement du nouveau gouvernement.

Francqui qui le connaissait depuis le début de la guerre appréciait à tel point ses qualités qu’au moment où M.-F. Hautain, gouverneur de la Banque Nationale de Belgique, donna sa démission, le 26 septembre 1926, il lui offrit la succession de celui-ci. Il l’accepta. Il avait cinquante-huit ans et commença ainsi la dernière phase d’une existence désormais soustraite à la politique. Il abandonna ses fonctions parlementaires, mais garda vives ses préoccupations pour les activités qui l’avaient occupé dans le domaine colonial, maritime, juridique, artistique et littéraire.

Le gouverneur Franck fut aussi actif que l’avait été l’avocat, le juriste, le député, le ministre. Il imprima sa forte personnalité à la politique de l’institut d’émission et répandit un esprit nouveau dans la Banque, entre autres par l’élargissement des conseils où les grands intérêts économiques et sociaux se trouvaient désormais représentés. Franck avait recommandé à Francqui cette réforme qui était bien dans la ligne de son esprit démocratique et conforme à son habitude de recourir à la collaboration d’hommes de formation et d’expérience diverses.

Sa tâche de gouverneur fut loin de l’absorber complètement. Il assuma également les fonctions de président de la Banque du Congo depuis 1927 et de président de la section monétaire du Conseil supérieur des Finances ; il garda la présidence du Comité maritime international, la vice-présidence de l’International Law Association et resta membre de l’Institut Colonial International. En outre, il continua à enseigner les principes généraux du droit maritime à l’Université de Bruxelles et à veiller comme président du Conseil d’administration aux destinées de l’Université Coloniale.

Les années qu’il passa à la Banque et qui devinrent particulièrement difficiles à partir de la grande crise lui fournirent l’occasion de donner des preuves nombreuses de son sens aigu des responsabilités, notamment au moment de la réforme monétaire de 1926 dont il fut le grand artisan avec Francqui.

Cette réforme, ainsi que celle des statuts de la Banque Nationale elle-même, fut bien accueillie, tant en Belgique qu’à l’étranger, et son succès fut rapide. Elle fut suivie d’une reprise économique remarquable au cours de laquelle Franck s’affirma homme plein de ressources dans un milieu nouveau. Il joua un rôle important à l’étranger, notamment à la Banque des Règlements Internationaux créée en février 1930. Son prestige devint énorme. Il avait été nommé Ministre d’Etat en 1926. En 1931, le Roi Albert, mécontent de la gestion financière du gouvernement, appela Paul Hymans pour lui dire qu’il faudrait confier les finances « à Louis Franck, qui inspirera confiance et qui a l’autorité qu’il faut ». Mais celui-ci refusa, comme il refusera, après la retraite du cabinet Theunis, peu avant la dévaluation de 1935, de former un nouveau gouvernement.

Il considérait que sa place était désormais à la Banque, d’où il pouvait le mieux défendre l’idéal pour lequel il avait combattu si longtemps, celui d’une monnaie stable et solide, garante d’un développement harmonieux de l’économie nationale. Son action en faveur de celui-ci dépassa d’emblée largement le secteur monétaire et du crédit. Par tous les moyens en son pouvoir, il tenta de développer le commerce d’exportation. Au cours de ses voyages à l’étranger, en particulier en Grande-Bretagne, aux Indes et aux Etats-Unis, il attira l’attention des milieux compétents sur celles de nos productions qui incorporaient beaucoup de main-d’œuvre. En 1927, d’accord avec le ministre des Affaires Etrangères, il organisa une mission destinée à poursuivre aux Etats-Unis l’étude des débouchés. La même année, il incita la Chambre de Commerce de Bruxelles à accueillir et renseigner les agents commerciaux étrangers visitant la Belgique et réussit à resserrer les liens entre les chambres de commerce et l’Office commercial de l’Etat ; il s’efforça également de ramener en Belgique les opérations de rembours de banque liées au règlement des importations qui avaient complètement quitté le pays depuis la guerre. Non moins importantes furent ses initiatives pour rapprocher la Belgique et le Congo en donnant un régime monétaire solide à ce dernier, en faisant admettre diverses valeurs de la dette coloniale au bénéfice des avantages dont jouissait la rente belge en matière d’avances, en ouvrant des crédits gagés par des warrants sur produits coloniaux transformés en Belgique, en assurant à la Banque la production d’or coloniale et en obtenant l’affinage de celui-ci dans le pays exclusivement. De même, il parvint à donner une base plus solide aux liens monétaires créés entre la Belgique et le Grand-Duché par l’Union Economique.

La tempête de la grande crise allait lui donner d’innombrables soucis, à commencer par la réalisation de toutes les craintes que le Gold Exchange Standard lui inspirait. Au cours de la semaine précédant l’abandon de l’étalon-or par l’Angleterre, qui ébranla le monde entier en septembre 1931, la Banque, alertée par la baisse inattendue du sterling, convertit en or la majeure partie de ses avoirs en livres, après avoir décidé, au cours d’une réunion à laquelle assistaient les plus hautes personnalités financières appelées par le ministre des finances, qu’il était opportun de relever la quotité de l’encaisse sur laquelle l’Etat subit une perte importante à raison de la garantie qu’elle avait accordée à la Banque sur les pertes de change de cette nature. Quand le texte de cette convention fut connu par le public, il y eut des remous considérables qu’une meilleure connaissance du système en vigueur finit pourtant par dissiper.

Les attaques firent long feu. Un arrangement, signé le 27 juillet 1932 et approuvé par le Parlement deux jours après, ne coûta rien à l’Etat, l’amortissement se faisant par un prélèvement sur les bénéfices de la Banque revenant à ce dernier.

La poursuite de la stabilité monétaire sur la base du franc rattaché à l’or, rencontra de nombreux obstacles après la chute de la livre, accrus par les difficultés économiques provoquées par une dépression sans précédent. C’est avec une profonde satisfaction que Franck signa à Paris, le 8 juillet 1933, après l’échec de la Conférence monétaire et économique de Londres, avec les banques d’émission de la France, de l’Italie, de la Pologne, des Pays-Bas et de la Suisse, la convention créant le bloc-or et confirmant la volonté des signataires « de maintenir le libre fonctionnement de l’étalon-or dans leurs pays respectifs aux parités-or actuelles et dans le cadre des lois monétaires existantes ». Il ne négligea aucune occasion par la suite pour affirmer sa volonté de maintenir le franc à sa valeur-or de 1926 et se déclara radicalement opposé aux manipulations monétaires.

La crise pourtant accumulait les difficultés économiques, les tensions sociales, les embarras politiques. Au cours de cette période, Franck déploya une activité extraordinaire, aidant le gouvernement comme le secteur bancaire privé et semi-public en toutes occasions, conscient du rôle de l’Institut d’émission au cours de telles périodes, qui ne peut cependant pas aller jusqu’à assumer des responsabilités gouvernementales. Ce partage des responsabilités, Franck l’observa constamment, tout en prêtant largement son aide personnelle et celle de ses collaborateurs au gouvernement ; il rendit sa liberté au vice-gouverneur van Zeeland qui devint ministre sans portefeuille en 1934 et premier ministre de 1935 à 1937 ; personnellement, il collabora, souvent avec l’aide de ses fonctionnaires, à la mise sur pied de l’Association nationale des industriels et commerçants pour la réparation des dommages de guerre (A.N.I.C.), du contrôle bancaire, du Fonds temporaire des Classes Moyennes devenu depuis lors la Caisse nationale de Crédit aux Classes Moyennes, de l’Office national du Ducroire.

Innombrables furent ses interventions en vue de sauver du désastre les banques privées au cours de la période qui connut la chute de la Banque belge du Travail, du Boerenbond, de tant d’autres institutions financières de moindre importance. C’est à son initiative que fut crée l’Office national de la petite Epargne, qu’il dirigea lui-même, et grâce auquel fut écartée une catastrophe sociale.

Ses principaux efforts étaient pourtant tendus vers le maintien de la stabilité du franc. Au moment où survint la crise politique de novembre 1934 se dessinèrent des manœuvres en vue d’une dévaluation. La campagne, un instant assoupie par l’avènement du gouvernement Theunis dans lequel Gutt était ministre des Finances, reprit de plus belle au début de l’année suivante ; au slogan « dévaluation » s’en joignit un second : « rattachement à la livre ». La situation monétaire internationale était très tendue ; les réunions du bloc-or, prévues pour janvier 1935, n’avaient pas eu lieu. La situation des banques devenait de plus en plus difficile. Le 12 février, Hubin, député de Huy-Waremme, prononça le premier plaidoyer pour la dévaluation à la Chambre, suivi par plusieurs de ses collègues. Une grande partie de l’opinion publique enchaîna.

Franck aida de ses conseils le gouvernement qui essaye in extremis de sauver la situation en demandant un crédit au gouvernement français et à la Banque de France. Mais la tentative échoua le 17 mars ; le gouvernement instaura le contrôle des changes le 18 et démissionna le lendemain.

« J’ai vu s’établir les mesures de contrôle, la mort dans l’âme », dit Franck devant la Commission d’enquête parlementaire chargée de rechercher les responsabilités de la dévaluation du franc, se rendant compte que, pour la deuxième fois en dix ans, le franc allait être amputé. Il avait insisté pour qu’une telle opération se fît par le truchement d’un gouvernement national, ce qui fut fait. Il avait insisté aussi pour ne pas rattacher le belga à la livre et était parvenu à obtenir un vote dans ce sens, le 28 mars, au Conseil de Régence, bien qu’il y eût des partisans du rattachement parmi les régents. Le gouvernement le suivit. Le franc fut dévalué de 28 p.c. mais resta basé sur l’or.

Les années qui suivirent auraient pu être heureuses pour Louis Franck. L’économie prit un essor rapide ; les nouveaux organismes de crédit étaient mis en place ; la sécurité du lendemain paraissait assurée sur le plan économique ; le dollar, la couronne tchécoslovaque, le florin dantzikois étaient de nouveau directement rattachés à l’or, avec le belga qui fut définitivement stabilisé au printemps de 1936 ; quelques mois plus tard la Belgique adhérait à l’accord tripartite avec la Suisse, les Pays-Bas, la France et la Grande-Bretagne, contribuant ainsi à généraliser l’utilisation de l’or dans les règlements internationaux.

Mais l’atmosphère politique devenait de plus en plus trouble. Les rexistes et les nationalistes flamands, exploitant la vertu révolutionnaire du scandale, croyaient avoir découvert des irrégularités dans la gestion de la Banque et la traînèrent sur la place publique. Ils s’en prirent également au premier ministre van Zeeland, ancien vice-gouverneur de la Banque, et créèrent une atmosphère si empestée que même Franck, qui pourtant n’avait rien à se reprocher, perdit courage.

Le 24 octobre 1937, le Parquet de Bruxelles qui avait entrepris une information à propos de la Banque à l’occasion des « révélations » de Léon Degrelle, mua celle-ci en instruction pour irrégularité dans certains jeux d’écritures.

Fatigué par un labeur épuisant, écœuré par les basses manœuvres dont il était l’objet, Franck exprima au Roi de désir de ne plus voir renouveler son mandat et d’obtenir un congé de trois mois. Le même jour, le ministre van Zeeland, revenu précipitamment de l’étranger, démissionna avec tous ses collègues du gouvernement.

Le jour de l’an, le gouverneur mourut sans avoir eu le bonheur d’apprendre que l’instruction à charge de la Banque avait été clôturée par un non-lieu et que van Zeeland avait obtenu gain de cause dans le procès en diffamation qu’il avait entamé.

 

P. Kauch – Biographie Nationale.