GÉRARD, Max-Léo.
Décédé à Bruxelles le 26 novembre 1955.
Secrétaire Honoraire du Roi Albert I, 1920-1924.
Ministre des Finances, 1935-1936, 1938.
Envoyé Extraordinaire et Ministre Plénipotentiaire en Chile, 1934-1940.
en Finlande, 1929-1934.
en Éthiopie, 1923-1929.
Grand Croix de l'Ordre de Léopold II, Grand Officier de l'Ordre de la Couronne, Commandeur de l'Ordre de Léopold, Croix Civique de 1re Classe, Croix Commémorative de la Maison du Roi Albert, Médaille Commémorative du Centenaire.
Grand Croix de l'Ordre de la Rose Blanc de Finlande et de l'Ordre de l'Étoile d'Éthiopie, Grand Officier de l'Ordre Al Merito de Chile et de l'Ordre de la Couronne d'Italie, Commandeur de l'Ordre Royal de Victoria de Grande-Bretagne, de l'Ordre Pontificial de Saint-Grégoire le Grand, de l'Ordre d'Isabelle la Catholique d'Espagne, de l'Ordre du Soleil Levant de Japon, de l'Ordre de l'Étoile Noir de Bénin, de l'Ordre de l'Étoile Polaire de Suède, de l'Ordre de Saint-Olaf de Norvège, de l'Ordre de la Couronne de Roumanie et de l'Ordre d'Ismaïl d'Egypt, Officier de l'Ordre du Lion et du Soleil de Perse.
GÉRARD, Henri, Leo, Max, dit Max-Léo, ingénieur, homme politique, banquier, né à Liège le 24 avril 1879, décédé à Uccle (Bruxelles) le 26 novembre 1955.
Fils de Léon Gérard, député libéral et bourgmestre de Liège – plus connu sous le nom de Léo -, Max-Léo Gérard appartenait à une lignée d'industriels et de notables. Un de ses ascendants, Louis Jamme fut aussi bourgmestre de Liège en 1830 et membre de la Chambre des Représentants. On trouve parmi ses ascendants Jean-Pierre Gérard qui créa en 1817 la poudrerie familiale d'Ombret et Antoine-Joseph de Fontaine qui fut banquier à Mons et président du Tribunal de Commerce en 1798. L'industrie, la banque et le service de la chose publique : trois domaines que Max-Léo Gérard allait illustrer dans sa longue et riche carrière. "Bourgeois libéral, formé par l'individualisme du XIXe siècle" tel il se présente lui-même. Tel il fut.
Il épouse en 1908 Suzanne-Elisa-Marguerite Cauderlier. Trois filles naîtront de cette union: Claire (1909-1936), Sylvie (1913-1966) et Marguerite (1918-1972). La sœur de Max-Léo Gérard, Hélène, épousera le pasteur Arnold Rey, père de Jean Rey, le futur ministre des Affaires économiques et président de la Commission européenne. Son frère jumeau, Gustave-Léo, ingénieur, fut administrateur-directeur général du Comité central industriel pendant vingt-cinq ans.
Max-Léo Gérard s'est reconnu pour maîtres Ernest Mahaim à l'Ecole des Mines de Liège, Emile Waxweiler, professeur à l'Université libre de Bruxelles et directeur de l'Institut de Sociologie de cette université. En politique, son modèle et inspirateur sera Paul Hymans. Il cite encore Henri Pirenne "pour la science des hommes et les merveilleux entretiens..."
Ingénieur des mines de l'Université de Liège en 1902, il entre dès 1903 à la Compagnie industrielle des Borax, comme secrétaire puis rapidement comme directeur administratif. On le voit en 1905 ingénieur-conseil du Crédit général liégeois, "une vieille banque régionale au nom respecté", écrira-t-il. Ce fut son premier contact professionnel avec l'industrie bancaire.
Suit une période d'intense activité scientifique, de publications, de voyages et déjà d'engagement politique. En 1917, le ministre Paul Hymans le nomme directeur de l'Office des questions financières au ministère des Affaires économiques. Il occupe cette fonction jusqu'en 1919. Pendant cette période de guerre, près du gouvernement replié à Sainte-Adresse, les tâches étaient nombreuses, délicates, souvent épineuses. Il s'en acquitte avec doigté et brio. Il fit notamment partie, avec Maurice Frère qui lui-même succédait à Emile Waxweiler, d'un groupe de travail chargé d'étudier les problèmes économiques de l'après-guerre.
Le roi Albert I ne manqua pas de le remarquer. Il le choisit comme secrétaire. Il le resta jusqu'en 1924. Ces cinq années comptèrent assurément beaucoup dans sa vie, sa formation et le déploiement de sa personnalité. Lui-même n'en dira rien, attaché qu'il était, selon ses propres termes, à "la réserve qui clôt la bouche aux anciens serviteurs politiques d'un souverain constitutionnel".
Il n'est pas douteux que le secrétaire du Roi joua un rôle important auprès du Souverain et qu'il fut sans doute l'inspirateur et souvent le discret et loyal interprète des préoccupations royales. En 1919 le roi Albert adressa au Premier ministre de l'époque Léon Delacroix une note sur la réforme de l'administration où l'on reconnaît des analyses et des suggestions qu'on retrouvera souvent dans les écrits et l'action de Max-Léo Gérard.
Les contemporains tenaient pour assuré que le programme du premier gouvernement Theunis (1921-1925), fut largement inspiré, pour ne pas dire rédigé, par le secrétaire du Roi.
Nommé en 1926 directeur général du Fonds d'Amortissement de la Dette publique, Max-Léo Gérard exerça, en cette qualité, et dans les nombreux groupes de travail auxquels il participa, une influence marquée sur la pensée économique et la vie politique. Il était rapidement devenu en quelque sorte le spécialiste étiqueté libéral des questions économiques et financières.
Ses écrits de l'époque - ils sont nombreux - témoignent d'une grande curiosité intellectuelle, d'une énorme capacité de travail et d'une ouverture d'esprit qui font contraste avec l'image qu'on a parfois retenue de lui : calviniste rigide, maigre, vêtu comme un grand bourgeois d'avant 1914..."selon les mots d'un historien contemporain. Ainsi, en octobre 1931, il prononce devant la Chambre de Commerce de Bruxelles une conférence où il défend un projet de Francqui visant à la création d'une Banque internationale de Crédit à Long et à Moyen Termes. Il y cite John Maynard Keynes et Henri De Man "un des esprits les mieux équilibrés de ce temps" dit-il. En 1933, il consacre un article à l'Equilibre du Budget dans le Temps. A un moment où précisément la controverse politique faisait rage au sujet de l'équilibre des finances publiques, il fallait de l'indépendance et un esprit d'anticipation pour amorcer une réflexion critique sur l'excessive rigueur de l'annualité du budget.
Le 19 mars 1935, le deuxième gouvernement Theunis (1934-1935) démissionne. C'est l'échec de la politique dite de "déflation" et de la tentative de défense de la parité-or. Le roi Léopold III fait appel à Paul van Zeeland pour constituer un gouvernement d'union nationale et de redressement économique. Ce gouvernement est formé le 25 mars 1935. Max-Léo Gérard y est ministre des Finances. Font aussi partie de ce gouvernement deux "nouveaux" ministres dont on allait beaucoup parler par la suite, dans des sens bien différents: Paul-Henri Spaak et Henri De Man, l'auteur célèbre du Plan du Travail adopté par le Parti ouvrier belge (POB) en 1933; Spaak comme ministre des Transports et des PTT; De Man comme ministre des Travaux publics et de la Résorption du Chômage.
Ainsi commence le premier mandat ministériel de Max-Léo Gérard dans le climat de changement et de réforme qu'Eugène de Barsy, membre influent de son cabinet, devait un jour appeler "le soleil zélandien".
Le train des réformes était très chargé et son parcours fut étonnamment rapide. Pouvoirs spéciaux; dévaluation; contrôle des banques; création de la Commission bancaire; conversion des rentes; création de l'Institut de Réescompte et de Garantie (IRG); création de l'Office de Redressement économique (OREC), création du Conseil supérieur des Finances, de l'Inspection des Finances, de l'Office national de Crédit hypothécaire.
Dans l'accomplissement des réformes qui relevaient de sa compétence, le ministre des Finances s'inspira de la volonté de dialogue et de concertation qu'il préconisait dans ses écrits depuis de nombreuses années. Ainsi, l'arrêté royal 185 du 9 juillet 1935, organisant le contrôle des banques et créant la commission bancaire fit l'objet de discussions détaillées avec les banquiers. Max-Léo Gérard en fut loué par certains et critiqué par d'autres.
La méthode a porté des fruits. Septante ans plus tard on reste impressionné par la quantité de travail accompli et la durée que devaient connaître les réformes mises en place.
Bien que pressenti, Max-Léo Gérard ne souhaita plus faire partie du second gouvernement van Zeeland formé après les élections du 24 mai 1936, dans lequel l'influence socialiste était renforcée. De son côté le POB s'était réjoui qu'aient été écartés "tous les ministres avec lesquels nous avons eu des difficultés" (Max-Léo Gérard, du Bus de Warnaffe et Devèze). Le portefeuille des Finances fut attribué à Henri De Man.
Pour certains observateurs, la juxtaposition de ces deux hommes dans le premier gouvernement van Zeeland était symbolique des tensions internes qu'alternativement cachait ou révélait le gouvernement d'union nationale. Les choses ne sont pas si simples. Max-Léo Gérard lui-même s'en est expliqué dans une conférence faite en mai 1936 devant la Société belge des Ingénieurs et des Industriels : "... pas plus que je ne suis entré dans le gouvernement pour réaliser le premier acte du Plan du Travail, pas plus je n'y resterais pour réaliser le second. Mais il ne s'agit pas de cela et il ne s'est pas agi de cela de toute l'année. Nous avons travaillé ensemble dans cet esprit d'équipe auquel le chef du gouvernement a plus d'une fois rendu hommage. Nous avons voulu faire ensemble œuvre nationale, nous inspirant des sentiments divers qui nous animaient, mais en nous consacrant à ce qui nous tenait au cœur à tous: le bien du pays".
Rendu à la vie privée, Max-Léo Gérard entre dans le groupe Brufina comme vice-président du conseil d'administration et président du comité de gérance. Il est aussi administrateur de Cofinindus.
Le 15 mai 1938, Max-Léo Gérard est à nouveau ministre des Finances dans le gouvernement formé par Paul-Henri Spaak (15 mai 1938 - 9 février 1939). Dès le début de juillet un train de mesures budgétaires est proposé par le ministre des Finances. Le débat est vif au sein du gouvernement. Finalement Spaak se rallie aux vues de son ministre des Finances. Le Premier ministre annonce : "sans être un budget de déflation, c'est un budget d'économie". Mais pour réaliser ces économies de nombreuses lois devraient être votées. Cela paraît difficile. Max-Léo Gérard réclame des pouvoirs spéciaux. Ce sera la rupture et le 5 décembre 1938, Spaak annoncera le remplacement de Max-Léo Gérard par Albert-Edouard Janssen.
Max-Léo Gérard est à nouveau rendu à la vie privée. A la mort du baron Houtart il est appelé, le 2 mars 1939, à la présidence de la Banque de Bruxelles.
C'est une nouvelle phase de sa vie qui commence, une phase qui vit se consacrer son rôle éminent d'"autorité morale". Resté au pays lors du déclenchement des hostilités, il est appelé, le 15 mai 1940 dans l'après-midi, au 8 rue de la Loi, par les ministres Spaak et Gutt, avec Alexandre Galopin, gouverneur de la Société Générale, et Fernand Collin. président de la Kredietbank. Trois autres personnalités devaient être convoquées mais n'ont pu être présentes : le baron Vaxelaire, Emile van Dievoet et Paul Tschoffen. La portée de cette réunion et le contenu exact de la demande faite à ces dirigeants ou du mandat qui leur fut confié ont fait l'objet de controverses, parfois d'âpres polémiques, déjà pendant l'occupation et pendant l'immédiat après-guerre.
L'objet immédiat de la réunion était d'assurer le paiement des fonctionnaires restés sous l'occupation. Le gouvernement s'engageait à rembourser les avances que des institutions auraient faites à cette fin. Est-on allé plus loin ? Sûrement. Combien plus loin ? C'est la controverse. Spaak dira en 1945 que ses interlocuteurs "pouvaient croire que nous leur avions donné un mandat moral (...) parce que nous les avons fait venir (et) que nous leur avions dit que nous comptions sur eux". La rumeur populaire sous l'occupation voulait que l'entretien s'était conclu par la phrase : "Nous vous confions la Belgique !". Lors des controverses qui suivirent la fin de l'occupation, il fut fait état d'une note du 30 juin 1940, rédigée par Max-Léo Gérard, qui visait à rendre compte avec plus de précision de la portée de cet entretien crucial. On y lit, notamment ceci : "...le gouvernement, sur le point de quitter Bruxelles, désirait laisser derrière lui un petit groupe d'hommes auquel il pourrait faire confiance pour servir en quelque sorte de guide moral au pays occupé. La population devrait pouvoir recevoir de ces hommes, les inspirations nécessaires, tandis qu'eux-mêmes continueraient ce qui, en matière de travail notamment, aurait paru indispensable sous l'occupation attendue".
Le contenu exact, la portée et les conséquences de l'entretien du 15 mai furent effectivement contestés au moment où, après la Libération se développa une vive polémique politique sur la répression de la collaboration économique. Dans une rencontre du 12 octobre 1944 entre les ministres Spaak et Gutt et Gaston Blaise (succédant au gouverneur Galopin assassiné peu avant la Libération), Paul Tschoffen, Fernand Collin, le baron Vaxelaire et Max-Léo Gérard, ce dernier a protesté dans ces termes : "Le Gouvernement rentrant de Londres a constamment parlé comme s'il n'y avait eu en Belgique que des collaborateurs ou bien des hommes des services secrets. Or, il y a eu une immense majorité de Belges, qui ont pratiqué une politique à la fois de résistance et de travail". Il ne s'agissait pas de tout couvrir et de tout excuser. A la même époque Max-Léo Gérard écrivait : "Il y eut des industriels, des entrepreneurs et surtout des intermédiaires qui virent dans les circonstances que l'occupation avait créées, le moyen de faire des profits dépassant des résultats normaux et qui souvent furent excessifs. Cette activité donna lieu à d'impardonnables collusions avec l'occupant qui relèvent à la fois de la justice et de la taxation des bénéfices de guerre".
Quoiqu'il en soit de ces controverses, dont la portée politique a parfois largement débordé, voire obscurci, la portée éthique, Max-Léo Gérard a voulu être et fut effectivement, pendant toute la durée de l'occupation à un moment où les repères moraux devaient être chaque jour inventés, ce "guide moral" qu'il était dans sa nature d'être indépendamment de toute "demande" ou "mandat" gouvernemental.
Pendant tout l'été quarante les conversations et consultations furent diverses, nombreuses, quasiment quotidiennes. Tous les mémoires du temps en témoignent.
Pendant toute l'occupation, Max-Léo Gérard participa activement aux nombreux groupes de travail qui cherchaient à éclairer l'action quotidienne et à préparer l'avenir; qu'il s'agisse de l'assainissement monétaire, de la reconstruction économique, de la réforme de l'Etat. Plusieurs de ces groupes fonctionnaient au sein de la Société d'Economie politique. Ils sont trop nombreux pour les citer tous ici.
Il s'agissait là de réflexions sur la chose publique. Dans l'ordre de la vie des affaires, le travail et les responsabilités n'étaient pas moins lourds.
Ayant assumé, en 1940, la présidence du comité de direction générale de la Banque de Bruxelles outre celle du conseil d'administration Max-Léo Gérard assume la lourde tâche de la gestion quotidienne dans cette période si complexe où les impératifs du patriotisme, de l'efficacité et de la prudence devaient être constamment conciliés. Il s'y montre un patron social, attentif au bien-être de ses travailleurs. Il s'y montre un dirigeant avisé capable d'identifier les problèmes qui se poseront une fois la paix revenue et d'en préparer les solutions.
Sous sa présidence, une fois la paix revenue, la Banque de Bruxelles poursuit l'expansion de son réseau d'agences et de sièges et développe une activité internationale qui la voit participer activement aux innovations qui ont marqué le rétablissement progressif de la liberté des échanges et des paiements. Dans la gestion des ressources humaines, il attache une importance cruciale à la formation. Tous les témoignages de ses collaborateurs immédiats concordent à louer la bienveillance et l'humanité qui accompagnaient la rigueur de sa pensée et la hauteur de ses vues.
Un extrait de l'allocution qu'il prononça à l'assemblée générale des actionnaires de la banque le 6 juillet 1948 témoigne de la vision de ce libéral que certains ont qualifié sommairement de "manchestérien". S'adressant aux actionnaires, il leur dit : "Vous, le capital, vous êtes le travail d'hier - comme je souhaiterais que ceux qui, aujourd'hui dans cette banque, constituent le travail soient demain, à leur tour, le capital".
Réélu administrateur pour une durée de six ans par l'assemblée générale ordinaire du 26 juin 1952, il renonce le jour même à son mandat de président. Il décède le 26 novembre 1955, emporté par une crise cardiaque.
Rendre compte avec justice et nuances de la vie et de l'action de Max-Léo Gérard obligerait à déborder le cadre de cette notice, nécessairement brève tant cette vie et cette action sont étroitement liées à l'histoire du pays, de sa politique et de son économie.
Dans l'hommage qui lui fut rendu le 18 avril 1956, le Ministre d'Etat, ancien Premier ministre et ancien ministre des Finances, Jean van Houtte cernait sa personnalité en lui reconnaissant : netteté de la pensée, élégance de la forme, solidité des convictions, respect profond des convictions d'autrui. Il concluait :"... la tolérance chez lui n'était pas indifférence mais forme de l'intelligence et mouvement du cœur". On ne saurait mieux dire.
Jean Godeaux – Biographie Nationale.