POULLET, Vicomte Prosper.

Né à Louvain, le 9 décembre 1871, y décédé, le 23 décembre 1935.

 

Ministre d'État.

Président de la Chambre des Représentants, 1918-1919.

Premier Ministre, 1925-1926.

Ministre de l'Intérieur, 1924-1925, 1932-1934.

Ministre de la Défense Nationale, 1926.

Ministre de la Justice, 1925-1926.

Ministre des Affaires Économiques, 1925.

Ministre des Chemins de Fer, Postes et Télégraphes, 1919-1920.

Ministre des Sciences et des Arts, 1911-1918.

Professeur Emeritus de l'Université Catholique de Louvain.

 

Grand Croix de l'Ordre de la Couronne, Grand Officier de l'Ordre de Léopold, Croix Civique de 1re Classe, Croix Spéciale des Mutualistes, Médaille Commémorative du Centenaire.

Grand Croix de l'Ordre d'Orange-Nassau de Pays-Bas, de l'Ordre du Danebrog de Danemark, de l'Ordre de la Légion d'Honneur de France, de l'Ordre du Nil d'Egypt, de l'Ordre de la Couronne de Roumanie et de l'Ordre de la Couronne d'Italie, Commandeur de l'Ordre de Saint-Olaf de Norvège.

 

 

Aloïs van de Vyvere parlait flamand au foyer paternel et apprenait le français au jardin d’enfants. Prosper Poullet parlait le français avec ses parents et avait appris le flamand au contact des gens du peuple rencontrés au cours de son existence. Tous les deux furent parmi les principaux leaders du mouvement flamand mais tandis que van de Vyvere luttait pour sa langue maternelle, Poullet combattait pour remédier à une injustice et mêlait étroitement la question sociale et la question linguistique. Van de Vyvere avait l’ardeur des opprimés, Poullet celle des néophytes.

La famille Poullet trouvait ses origines au pays de Liège.

Un lointain ancêtre avait essaimé sur les bords de la Dyle, son grand-père siégeait aux Etats Généraux du royaume des Pays-Bas et son père était président du tribunal de Louvain. Lui-même naquit en cette ville au mois de mois 1868 et conquit son diplôme de docteur en philosophie et lettres à la vieille université. Woeste accepta de l’accueillir parmi ses stagiaires et lui fit l’honneur de l’autoriser à le regarder préparer ses dossiers et à l’écouter plaider, il ne lui confia jamais de dossier. Au bout de trois ans, ayant goûté les charmes du barreau pour un avocat sans cause, Poullet accepta une chaire à l’Université de Louvain et abandonna son éminent patron sur le chemin de l’anti-militarisme et de la défense des temps révolus.

Très laborieux il cumulait ses leçons à l’Université avec ses études historiques et faisait paraître une nouvelle édition revue et complétée de l’ouvrage de son père sur l’histoire de Belgique de 1830 à 1880 ; puis il publiait une étude sur les institutions françaises de 1795 à 1814, sur l’occupation française en Belgique, ouvrages assez peu favorables aux idées françaises et à la France.

Est-ce à cette époque que naquit chez lui une certaine méfiance à l’égard de la politique française et son désir de voir pratiquer par la Belgique une politique étrangère vraiment nationale dont il sera un des leaders durant la guerre et au lendemain du traité de Versailles ? Nous croyons devoir répondre par l’affirmative. Tout en rendant hommage au courage des soldats français, il craignait que les armées de la IIIe République ne ressemblent un peu trop à celles de la Ire et que la politique de Poincaré, de Clemenceau et de Millerand ne continue celle de la Convention, du Directoire et de l’Empire. Sans doute à cette époque ne s’occupait-il pas encore de la vie publique et son temps paraissait uniquement partagé entre ses cours à l’université, ses études historiques et le foyer qu’il avait fondé avec la fille d’un ami de son père et dont il aurait six enfants.

Comme de Trooz, dont il devait être à la Chambre le suppléant il s’occupera activement d’œuvres sociales et devint présider de la caisse des pensions de vieillesse de l’arrondissement de Louvain, ce qui lui ouvrit les portes successivement du conseil provincial du Brabant et du conseil communal de sa ville natale. Il peut paraître paradoxal que ce futur leader du mouvement flamand ne s’exprima jamais qu’en français aussi bien au conseil provincial qu’au conseil communal mais, faut-il le rappeler, à cette époque seuls les élus socialistes parlaient le flamand dans les assemblées publiques. Encore une fois la chose est parfaitement compréhensible puisque la bourgeoisie avait été élevée en français et ignorait la langue populaire. Poullet parlait-il le flamand à cette époque ? Moyersoen, dans l’intéressant ouvrage qu’il consacre à l’ancien ministre, répond par l’affirmative. Nous n’en sommes pas aussi sûr. Sans doute la fréquentation des œuvres populaires et la présidence d’une caisse des pensions lui avaient-elles donné une certaine connaissance de la langue flamande mais nous ne croyons pas qu’il fût capable de prendre la parole en public en cette langue. Ce sera plus tard durant le premier conflit mondial alors que ses occupations lui laisseront des loisirs, qu’il deviendra peu à peu un parfait bilingue. L’autorité que lui donnait son enseignement à Louvain en même temps que son activité dans les œuvres sociales et l’expérience acquise aux conseils provincial et communal où il défendait avec ardeur les droits de l’enseignement libre, lui valurent la première suppléance sur la liste catholique de l’arrondissement de Louvain. La mort de de Trooz lui ouvrit les portes du Parlement.

Durant les premiers mois, il semble avoir gardé au Palais de la Nation, de Conrart le silence prudent et n’avoir joué aucun rôle dans le grand débat relatif à l’annexion du Congo. Mais l’année suivante il appuya la loi supprimant le remplacement et établissant le service militaire d’un fils par famille. Au cours de la discussion sur la loi du bon scolaire Poullet en une brillante intervention défendit le principe de subsides à l’enseignement libre avec peut-être plus d’énergie que la loi elle-même. Cette attitude, à la fois ferme et habile, lui valut sans doute de recevoir le portefeuille des sciences et des arts lorsque de Broqueville fut appelé par le Roi à remplacer Frans Schollaert. Nous l’avons déjà écrit, le chef de cabinet eut l’habileté de laisser dormir les questions irritantes et de profiter des erreurs de l’opposition. Au lendemain de sa victoire électorale de 1912, de Broqueville retira des oubliettes le projet de Schollaert et chargea le ministre des sciences et des arts de l’amender. Cette projet autorisait l’état à subsidier les écoles libres qui ne recevaient pas d’aides financières des communes et rendaient l’enseignement obligatoire. Durant la discussion, Poullet défendit avec brio le projet du gouvernement et lorsque la loi fut votée le 19 mai 1914, le ministre des sciences et des arts figurait parmi les hommes politiques de premier plan du pays.

A la fin du mois de juin 1914, l’archiduc François Ferdinand d’Autriche et son épouse morganatique avaient été assassinés à Serajevo et le feu qui couvait sous les cendres des Balkans allait se propager à travers toute l’Europe. Le 31 juillet, le Roi avait réuni le conseil des ministres au palais de Bruxelles et demandé la mobilisation générale de l’armée. Malheureusement, certains membres du conseil semblaient fort hésitants. En effet, les élections du mois de juin précédent avaient fait perdre 4 sièges à la majorité et l’opinion publique attribuait cette perte notamment à l’instauration du service militaire obligatoire auquel les électeurs campagnards, surtout en Flandre, restaient hostiles. Le Roi estimait, avec la sûreté de son jugement, que la mobilisation permettrait à la Belgique de faire face à l’envahisseur avec le maximum de ses faibles forces en même temps que de montrer à l’Europe la volonté du pays de se défendre contre toutes attaques extérieures. De plus, ajoutait le Roi, personne ne pourrait se froisser de voir un petit pays comme la Belgique mobiliser son armée tant l’idée d’une intervention volontaire de la Belgique dans le conflit menaçant était impensable. Ce furent Poullet et Paul Segers qui, en apportant au Roi leur soutien énergique, enlevèrent la majorité au sein du conseil. A sept heures du soir l’ordre de mobilisation générale était envoyé par télégramme dans tout le pays. Quant le Roi, il ne devait jamais oublier l’aide que lui avait accordée Poullet en cette circonstance, et cet acte de clairvoyance patriotique valut au ministre la confiance du Souverain.

Poullet suivit naturellement le gouvernement à Anvers où, au début du mois d’octobre Winston Churchill, débordant d’énergie et de bons conseils, arriva avec quelques milliers d’hommes en proclamant partout que la ville devait s’ensevelir sous les cendres et sous les bombes. Au bout de 24 heures, il avait compris que les forts de la place n’avaient pas été construits pour résister à la grosse artillerie allemande et il songea à regagner l’Angleterre. Toutefois, avant de partir, il eut un entretien avec les ministres catholiques de sa majesté le roi des Belges et dans son français rocailleux déclara que l’Europe devait cesser de vivre dans la luxure (luxous), puis il repartit emportant avec lui son dynamisme et son énergie qui allaient lui permettre 25 ans plus tard de sauver la liberté du monde.

Après l’évacuation d’Anvers, Poullet gagna le Havre où les ministres avaient installé leurs services. Naturellement, ses fonctions n’absorbaient pas tout son temps mais la nécessité d’organiser en terre étrangère des établissements scolaires pour les enfants des réfugiés belges ne devait pas tarder à s’imposer et il se mit à voyager à travers la France, l’Angleterre et les Pays-Bas. Il nous paraît intéressant de nous arrêter à cette partie de son activité ministérielle, car Poullet dut s’occuper des nombreux enfants belges réfugiés en Hollande avec leurs parents avant et pendant le siège d’Anvers. Il fallait créer des écoles primaires ce qui ne posait guère de problèmes. Il n’en était pas de même ce qui concerne l’enseignement moyen. Celui-ci se donnait dans la partie flamande du pays presque exclusivement en français à la seule exception de deux cours. Poullet fut donc forcé de créer aux Pays-Bas des athénées de langue française pour des jeunes gens provenant presque exclusivement des provinces flamandes. Nous croyons que c’est durant ces mois de guerre que Poullet comprit l’ampleur du problème flamand et se mit à approfondir ses connaissances de la langue néerlandais. Là-dessus s’ajouta le problème d’une armée belge composée pour 80% de soldats flamands mais commandée exclusivement en français, car bien entendu la loi de 1913 exigeant le bilinguisme de tous les officiers n’avait pas encore produit ses effets. Jusqu’alors Poullet n’avait guère paru défendre la cause flamande, c’est au cours de la guerre que son évolution se marque, mais chez cet homme généreux la question linguistique était beaucoup plus une question sentimentale qu’intellectuelle. Ce bourgeois francophone était flamand comme il était démocrate par générosité…

Après le discours du trône du 22 novembre 1918, la Chambre reprit ses travaux. Schollaert était mort durant l’exil et il fallut songer à le remplacer. Comme la droite disposait toujours de la majorité au Parlement, la candidature d’un des siens fut proposée et Poullet fut choisi pour présider les débats de l’assemblée. Le temps des séances houleuses d’avant-guerre était passé et les problèmes dont le Parlement était saisi trop importants pour que l’assemblée pût se permettre les heurts de la Belle Epoque. Au surplus, Poullet ne devait occuper cette fonction que durant un an. En effet, au lendemain des élections du mois de novembre 1919, le parti socialiste remporta un immense succès passant de 34 à 68 députés. En Flandre les membres du parti catholique, à la seule exception de Woeste, furent tous remplacés par de jeunes éléments démocrates et flamands. Delacroix tira les conséquences des élections et pour remplacer Poullet à la présidence de la Chambre, poste que les socialistes réclamaient pour un des leurs, il lui confia le portefeuille des chemins de fer pour achever l’œuvre si heureusement commencée par Renkin. Durant les années suivantes, Poullet qui était devenu avec Frans Van Cauwelaert et Aloïs van de Vyvere un des leaders de la droite flamande, se montra un des plus chauds défenseurs du programme minimum développé par Van Cauwelaert. Il ne s’agissait plus seulement de flamandiser intégralement l’université francophone de Gand mais bien d’établir la prépondérance absolue du flamand, aussi bien dans la vie administrative que dans l’enseignement, la justice et l’armée. Au mois de mars 1924, après le rejet par la Chambre du traité de commerce franco-belge, Theunis lui confia le portefeuille de l’intérieur et il resta ministre jusqu’à la démission du cabinet en avril 1925.

Nous avons rapporté au chapitre précédent, que les élections de cette année-là, ayant marqué un succès du parti socialiste, le Roi fit d’abord appel à Vandervelde pour reconstituer le cabinet ce qui était normal, puis au comte de Broqueville, ce qui l’était moins. Tous deux n’ayant point réussi dans leur tâche, van de Vyvere se vit autorisé à constituer un ministère catholique homogène qui eut le mérite d’obtenir autour d’un programme de réformes modérées, l’accord de la droite tout entière et rendit ainsi possible la constitution soit d’une alliance catholique/socialiste, soit d’une nouvelle tripartite. Cependant, à ce moment Adolphe Max, bourgmestre de Bruxelles, meilleur administrateur municipal que grand politique, crut son heure arrivée et espéra rallier autour de sa personne un nombre suffisant de ses amis pour constituer un cabinet tripartite. Il s’exagérait son autorité personnelle qui ne dépassait guère l’arrondissement de Bruxelles et le parti libéral lui refusa son concours. Après plus de deux mois de crise la situation politique était plus difficile que jamais.

C’est à ce moment que le Roi fit appel à Poullet et le choix était logique. L’échec de van de Vyvere avait démontré l’impossibilité de constituer un cabinet  tripartite tandis que la droite se refusait à une entente avec les seuls socialistes. Dans ces conditions, comme une nouvelle alliance catholique/libérale s’avérait impossible tant en raison du résultat des élections que du refus des libéraux de participer au pouvoir, seule une alliance démocrate-chrétienne/socialiste demeurait possible. Poullet, nanti de la confiance votée d’extrême justesse par ses amis politiques, constitua donc le nouveau ministère composé de 5 socialistes, 5 catholiques et de 2 ministres censés être sans parti. Vandervelde se voyait confier les affaires étrangères, les sciences et les arts allaient à Huysmans, les travaux publics à Laboulle et les chemins de fer P.T.T. à Anseele, l’industrie et  le travail à Wauters tandis que les catholiques recevaient les affaires économiques gérées par Poullet, les finances confiées à Albert-Edouard Janssen, professeur à l’Université de Louvain et réalisateur de la stabilisation de la monnaie autrichienne, Tschoffen démocrate-chrétien recevait la justice, van de Vyvere l’agriculture et Carton de Tournai était chargé du portefeuille des colonies, la défense nationale était confiée au général Kestens ancien instructeur de l’armée argentine enfin le baron Rolin-Jacquemyns d’origine libérale devenait ministre de l’intérieur ; mais ses amis politiques précisèrent qu’en aucun cas il ne représentait son parti au sein du Gouvernement.

Ce Gouvernement était à la fois inéluctable et voué d’avance à un échec, inéluctable, car les élections du 5 avril 1925 avaient marqué le désir du corps électoral de rompre avec l’alliance catholique/libérale, au pouvoir depuis 4 ans, et aucune autre formation ne s’était avérée possible, mais en même temps il était voué à l’échec avant même d’avoir entamé son action. Il était en effet impossible de réaliser une politique d’extension des lois sociales en prétendant en même temps maintenir l’équilibre budgétaire et stabiliser la monnaie. Dès l’origine, seuls les socialistes et l’aile démocratique du parti catholique apportèrent au cabinet l’appui de leur vote.

Pour réussir, il aurait fallu à la tête du ministère un homme non seulement énergique, mais audacieux, une sorte de Danton qui se fût écrié à travers tout le pays : « de l’audace, encore de l’audace et toujours de l’audace » ; il aurait fallu un premier ministre qui profitant de la lassitude du pays après 73 jours de crise ministérielle eût fait voter tambour battant par le Parlement toute une série de lois sociales et linguistiques réclamées par les socialistes et les démocrates-chrétiens mais il aurait dû, en même temps, accepter clairement la rupture de l’unité du parti catholique, le déficit budgétaire et la remise à des temps lointains de la stabilisation de la monnaie. Faute d’avoir profité de l’instant propice, Poullet ne réussit ni à empêcher la division du parti catholique ni à satisfaire le corps électoral ni à maintenir l’équilibre budgétaire ni, surtout, à stabiliser la monnaie. Le bon, le loyal, le sentimental Poullet n’était pas l’homme d’une telle politique, il n’en avait probablement pas l’envergure, mais dès lors, son ministère était destiné à végéter avant de sombrer dans le plus lamentable des chaos.

L’histoire de l’échec de la tentative de stabilisation du franc belge à 107 par rapport à la livre nous fut contée jadis par A.-E. Janssen dans son cours de finances publiques à l’Université de Louvain. Il reconnaissait que la méfiance d’abord puis l’hostilité des financiers belges et étrangers avaient fait échouer son plan, mais ce plan ne pouvait réussir que dans un climat de stabilité sociale et politique. Or le monde des employés et des ouvriers exigeait une hausse des salaires correspondant au coût de la vie des dernières années et ne l’obtenant pas déclenchait des grèves augmentant ainsi la méfiance des prêteurs étrangers dont le ministre avait besoin pour rembourser la dette flottante et stabiliser la monnaie. D’autre part, pour réaliser des économies, le ministère décida de dissoudre un certain nombre de régiments et réduire le temps de service militaire. Cette politique était parfaitement défendable au lendemain des traités de Locarno (16 octobre 1925) mais elle se heurtait à une opinion publique demeurée très chatouilleuse sur le plan patriotique et à l’hostilité de tous les anciens combattants. Le dépôt au musée de l’armée des drapeaux des régiments dissous fut au mois de février 1926 l’occasion d’une grande manifestation anti-gouvernementale au cours de laquelle Poullet, ministre par intérim de la guerre, fut violemment pris à partie et insulté par une population déchaînée au coin de l’avenue des Arts et de la rue de la Loi. Ce grave incident augmenta le malaise politique et bien que la majorité de la Chambre lui demeurât fidèle, l’opinion publique lui devint de plus en plus hostile. Au mois de décembre 1925, le général Kestens se refusant à diminuer le temps de service avait présenté sa démission. En février, van de Vyvere et Tschoffen s’étaient retirés et le départ du ministre flamand qui avait été un des pères du cabinet fut pour celui-ci un sérieux affaiblissement. A partir du mois de mars la course à l’abîme se précipita ; A.-E. Janssen cherchait des emprunts à long terme pour stabiliser la monnaie en même temps qu’il devait rembourser la dette à court terme au moyen d’argent qu’il ne trouvait plus. Finalement, dans les premiers jours du mois de mai, Carton et Rolin-Jaequemyns donnèrent leur démission tandis qu’à la Chambre Janson reprenant la phrase fameuse de Cromwell au Long Parlement, cria à l’adresse du gouvernement « Allez-vous en ». Quelques jours plus tard, Janssen quittait lui aussi le ministère et Poullet s’en alla remettre au Roi la démission du cabinet que presque tous les ministres catholiques avaient déjà abandonné.

Au lendemain de sa retraite, Poullet eut l’élégance non seulement de s’effacer complètement mais d’inviter ses amis démocrates-chrétiens flamands à appuyer de leurs votes un ministère dans lequel ils n’étaient pratiquement pas représentés. Après le terrible échec de sa politique, sa carrière semblait terminée. Sans doute continuait-il à être le porte-parole de la droite flamande dans les questions linguistiques mais son rôle demeurait assez effacé.

Cependant, lors de la chute du ministère Jaspar au mois de mai 1931, le Roi fit appel à son concours pour l’inviter à reconstituer le nouveau gouvernement. Le Roi savait que l’heure était venue de voter de nouvelles lois de nature à réaliser le programme minimum flamand préparé par Van Cauwelaert et ses amis, mais si le Souverain acceptait cette solution il n’entendait pas permettre la désagrégation du pays. Connaissant la clairvoyance du patriotisme de Poullet dont il avait eu la preuve au mois de juillet 1914, le Roi fit appel à lui. Toutefois, le Ministre d’Etat crut devoir refuser en invoquant, pour justifier son attitude, un état de santé réellement chancelant et qui ne lui aurait pas permis de supporter la lourde charge que le Roi entendait lui confier. Peut-être cependant, derrière ce motif réel, s’en cachait-il un autre : la crainte de ne pas réunir autour de son nom suffisamment de personnalités conservatrices et wallonnes et de ne pas jouir dans l’opinion francophone du pays d’appuis suffisants. Un an plus tard il accepta néanmoins d’apporter son concours au comte de Boqueville dans un ministère composé de presque tous les anciens premiers ministres, Poullet reçut le portefeuille de l’intérieur qu’il abandonna quelques semaines avant la mort du Roi pour permettre l’entrée dans le cabinet d’un ministre wallon de nature à mieux équilibrer les tendances communautaires du ministère. Une dernière fois il devait ministre sans portefeuille dans le ministère constitué en mars 1936 par van Zeeland. Il fut avec Hymans et Vandervelde, selon l’expression drôle des journaux de l’époque, « une des belles-mères du gouvernement », ce fut sa dernière intervention politique. Démissionnaire en même temps que le ministère après les élections de 1936, il mourut à la fin de l’année suivante emporté par l’artério-sclérose dont il souffrait depuis longtemps.

Prosper Poullet ne figure pas parmi les grands hommes d’état de la Belgique contemporaine, il ne faudrait cependant pas oublier ni les services rendus au cours de sa carrière ministérielle ni l’idéal de son action politique. Avant la guerre mené le combat pour l’égalité scolaire, après les hostilités il mena le combat pour l’égalité de nos deux langues nationales, il fut toujours comme Charles Rogier un grand sentimental égaré dans la politique, un homme épris de justice.

 

Bartelous, J., Nos premiers ministres de Léopold Ier à Albert Ier, Brussel, 1983.