RENKIN, Jules.

Né à Ixelles, le 3 décembre 1862, décédé à Bruxelles, le 15 juillet 1934.

 

Ministre d'État.

Premier Ministre, 1931-1932.

Ministre des Finances, 1932.

Ministre de l'Intérieur, 1931-1932.

Ministre des Affaires Étrangères, 1919-1920.

Ministre des Chemins de Fer, Postes et Télégraphes, 1918-1919.

Ministre des Colonies, 1908-1918.

Ministre de la Justice, 1907-1908.

Membre de la Chambre des Représentants.

Bâtonnier de l'Ordre des Avocats.

 

Grand Croix de l'Ordre de Léopold, de l'Ordre de l'Étoile Africaine et de l'Ordre de la Couronne, Croix Civique de 1re Classe, Médaille Commémorative du Centenaire.

Collier de l'Ordre d'Isabelle la Catholique d'Espagne, Grand Croix de l'Ordre de l'Empire Britannique, de l'Ordre Pontificial de Saint-Grégoire le Grand, de l'Ordre du Lion et du Soleil de Perse, de l'Ordre de l'Étoile de Roumanie, de l'Ordre de la Légion d'Honneur de France, de l'Ordre du Christ de Portugal et de l'Ordre de la Couronne d'Italie, Officier de l'Ordre du Sauveur de Grèce.

 

 

RENKIN, Jules, Laurent, Jean, Louis. Avocat, Membre de la Chambre des Représentants, Ministre d’Etat (Ixelles, 3 décembre 1862 – Bruxelles, 15 juillet 1934).

Au premier abord, pour qui ne le connaissait pas, Renkin paraissait froid et quelque peu distant. Mais, dans la réalité, il était accueillant, bon, sensible ; c’est toujours avec avidité qu’il écoutait tout ce qui avait l’apparence de la sincérité, de l’originalité et de la nouveauté, même de la part des jeunes. Il entrait immédiatement en discussion avec eux, approuvait ce qu’il jugeait juste, redressait ce qui lui paraissait faux ou exagéré. Mais parfois aussi, sans rompre l’entretien, il se cantonait dans un silence qui n’était autre que la méditation de ce qu’il avait entendu.

Il avait des mots à l’emporte pièce, admirablement adaptés au sujet développé.

Au plus haut des honneurs qu’il connut, il était resté simple et naturel. Et cela donnait un charme très prenant à sa puissante personnalité.

C’ était un debater magnifique. Avec son jugement solide, éclairé par une immense érudition s’étendant à tous les domaines, avec surtout son sens développé de l’Etat et des exigences du pouvoir, il avait tôt fait de déceler, dans l’argumentation de l’adversaire, le point faible et il y répondait ; les débats, il les portait toujours sur la hauteur des principes. Il fit merveille non seulement dans les joutes du Palais de Justice et du Parlement, mais aussi dans celles du Conseil Colonial ; or, là, encore que tout se passe simplement, dans un appareil n’ayant rien de spectaculaire, la position du ministre est particulièrement difficile. Il doit connaître les questions les plus variées et, à l’improviste, sans même avoir souvent le temps de la réflexion, faire front à des considérations, à des objections imprévues. Renkin se jouait de ces difficultés avec une aisance qui forçait l’admiration ; il le faisait de son propre mouvement, sans le secours de personne ; car de son temps, la pratique de faire participer les fonctionnaires aux discussions du conseil n’existait pas encore.

Il avait des habitudes de vie et de travail simples. Le matin à midi, le soir à 6 heures, il cessait tout travail. L’heure venue, il déposait la plume ou éconduisait le visiteur ; les soirées, qu’il passait en famille, il jouait aux cartes ; la lecture des journaux ne l’encombrait pas, souvent, il refusait même de les voir et avait le plus profond dédain pour les appréciations de la presse sur sa personne ou ses faits et gestes. Il entendait les méconnaître ; elles ne troublaient en rien sa sérénité.

Son style, des discours étaient sur le modèle de son esprit : direct, simplifié, clair et net. Il écrivait en phrases courtes, dépouillées de tout ornement factice, de tout adjectif inutile ; tout superlatif était systématiquement éliminé. Ses discours étaient de même, incisifs, volontiers affirmatifs ; mais s’élevant, quand le sujet en valait la peine, à des accents touchant à la fois le cœur et la raison.

Son physique : il dénotait sa forte personnalité, avec sa stature puissante, sa tête plutôt massive, solidement plantée sur les épaules, sa démarche plein de vigueur.

Ce fut vraiment un type d’homme admirable ; d’un équilibre parfait ; d’une vigueur intellectuelle portée au maximum ; avec des visions de véritable homme d’état. Toute sa carrière en témoigne. Ne fut-il pas à l’avant-garde dans toutes les luttes pour les causes où le sort ou l’avenir de la patrie était en jeu et dont les masses n’entrevoyaient même pas l’intérêt ?

Avant devenir en 1908 le premier ministre des colonies de la Belgique , Renkin avait déjà joué un rôle important dans la vie de son pays et lorsque, dix ans après, il céda le gouvernail à une autre ministre des colonies. Il continua à figurer parmi les premiers hommes d’état Belge.

C’est cependant avant tout son œuvre coloniale qui retiendra notre attention.

Bornons-nous à rappeler qu’il avait embrassé la carrière du barreau et que ses solides qualités le mirent vite en vedette, qu’il ne tarda pas à s’intéresser à la politique et qu’en 1896 il fut élu député de Bruxelles, qualité qu’il conserva jusqu’à la fin de sa vie. Sur cette scène aussi il brille rapidement. Avec G. Helleputte, A. Verhaegen et H. Carton de Wiart il fonda le groupe démocratique-chrétien qui força la main de la vieille droite dirigé par Ch. Woeste et assura le succès des réformes sociales ainsi que du service personnel et matière militaire et de la représentation proportionnelle. Devenu un des chefs de la droite, il entra en mai 1907 dans le cabinet de Trooz comme ministre de la justice.

Il était en ce moment dans la force de l’âge et dans l’épanouissement de son talent. Une mission à sa mesure l’attendait.

La Belgique se disposait en effet à écrire une page glorieuse dans son histoire : reprendre le Congo et réorganiser cet immense territoire.

On sait dans quelles conditions difficiles cette œuvre se réalisa. Depuis des années, une campagne violente sévissait à l’extérieur contre l’Etat Indépendant et plusieurs gouvernements étrangers suivirent avec infiniment de méfiance le coup de barre que la Belgique se préparait à donner. A l’intérieur du pays, l’opinion n’était nullement enthousiaste : chez beaucoup de Belges le Congo représentait encore l’aventure politique et de lourdes charges financières. Quand le projet fut présenté au parlement, une critique impitoyable se déchaîna contre la grande œuvre de Léopold II. De son côté le Roi-Souverain, outré de l’incompréhension qu’il rencontrait, ne pouvait se résigner à abandonner certaines combinaisons introduites dans te traité de cession.

L’annexion du Congo à la Belgique apparaissait cependant la seule solution possible. Avec l’aide très efface de F. Schollaert qui avait succédé à de Trooz comme premier ministre, J. Renkin fut chargé de défendre devant le parlement le traité de cession et la loi organique qu’on a appelée la Charte du Congo Belge.

Rude lutteur, dialecticien de premier ordre, grand travailleur, il s’était soigneusement préparé à répondre aux objections de ses adversaires, mais il excellait aussi à élever les débats. Avec quel accent passionné il prononça le 25 avril 1908 les paroles suivantes : « Il y a ici autre chose qu’une question d’argent. Il y a une question d’honneur national, c’est-à-dire une question vitale au premier chef. Les peuples se relèvent des pires désastres ; ils ne se relèvent pas si, quelque jour, leur énergie est inférieure aux grands devoirs que leurs destinées leur imposent, s’ils ont le malheur de préférer le repos à la rude loi de l’effort et du sacrifice… Les bruyantes polémiques où s’attardent des esprits qui confondent l’agitation avec le travail seront vite oubliées… L’histoire ne verra que les grands faits : la grandiose conception d’un roi, chef d’un petit peuple, faisant surgir un vaste empire au centre de l’Afrique, l’annexion du Congo ouvrant à la Belgique une période nouvelle qui sera, j’en ai l’intime conviction, digne de celles qui l’ont précédée ».

Le 15 novembre 1908, Renkin eut la joie de voir l’événement s’accomplir : le Congo devint Belge.

Son nom s’imposait en quelque sorte quand il fallut choisir le premier ministre des colonies. Il voulut se récuser, mais s’inclina lorsque Léopold II fit appel à son sens du devoir.

La charge s’annonçait bien rude car la Belgique s’était engagée à donner au Congo une orientation nouvelle. Renkin n’était cependant pas l’homme à se lancer dans des improvisations. Il commença par faire en 1909 un séjour de 5 mois dans la colonie. Il y rencontra le prince Albert de Belgique dont le voyage constituait le premier contact de la Royauté avec le sol congolais.

Étant revenu avec des vues très nettes, le ministre se sentit qualifié pour entreprendre, avec le concours d’un conseil colonial comptant de brillantes individualités, un long travail qui s’échelonna sur plusieurs années et qui changea la face du Congo.

Rappelons les principales dispositions qui furent prises.

Le décret du 22 mars 1910 sur la récolte des produits domaniaux inaugura les réformes fondamentales. Livré à ses seules forces en matière financière, l’Etat Indépendant du Congo avait été amené à se créer des ressources en poussant à l’extrême le principe universellement admis suivant lequel les terres vacantes sont propriété de l’état et en exploitant ces terres par ses propres agents, à son profit. Comme au Congo les terres non occupées par les indigènes étaient seules à recéler l’ivoire et à produire le caoutchouc et qu’à l’époque il n’existait point d’autres produits commerçables, cette politique avait eu pour effet pratique d’interdire tout commerce privé. Aussi provoqua-t-elle les plus vives protestations de la part des pays étrangères appelés au bénéfice de la liberté commerciale en vertu de l’Acte Général de la Conférence de Berlin de 1885. Le décret du 22 mars 1910 mit fin à ce régime par étapes.

C’est par étapes aussi que le décret du 2 mai 1910 sur l’impôt indigène abolit l’impôt en travail. Petit à petit, le numéraire se répandit dans toute le territoire et les indigènes furent en mesure d’acquitter leur impôt en argent.

Signalons encore qu’un autre décret du 2 mai 1910 réorganisa le régime des chefferies indigènes et consacra le système de l’administration indirecte, tandis que le décret du 17 août 1910 mit au point les dispositions destinées à protéger les indigènes en cas d’engagement au service de maîtres européens.

Pendant la même période, le gouvernement de la colonie s’attache à encourager les progrès dans les domaines les plus variés. C’est de cette époque que datent le premier décret sur l’exploitation des mines, les mesures prises pour favoriser l’émigration belge au Congo, la suppression des pouvoirs politiques du comité spécial du Katanga, la création de la Cour d’Appel d’Elisabethville et les dispositions qui s’imposaient pour assurer l’exploitation normale par les Belges des richesses minières du Katanga.

La Belgique ayant prouvé qu’elle tenait ses promesses, la pacification d’opéra dans les esprits et, successivement, toutes les puissances étrangères reconnurent l’annexion du Congo par la Belgique.

Mais voici que brusquement le sort du Congo est remis en question ; une crise violente bouleverse le monde : la guerre de 1914-1918. Là encore Renkin se révéla le bon pilot.

Réfugié au Havre avec le gouvernement belge, il commença par se trouver dans une situation délicate : l’Acte de Berlin avait proclamé la neutralité du Congo en cas de guerre. Le ministre affirma sa volonté de faire respecter cet engagement. Mais au Congo les patriotes belges grondaient… Le problème fut résolu lorsque, fin août 1914, les Allemands de l’Est Africain prirent eux-mêmes l’offensive.

Dès lors, le gouvernement belge ne songea plus qu’à une chose : d’abord mettre le Congo en état de défense, puis aussitôt que possible, d’accord avec nos alliées, porter la guerre en pays ennemi de façon à s’assurer des gages à la fin des hostilités.

Douloureusement atteint lui-même par la guerre – son fils était tombé à l’Yser – Renkin une fois de plus se consacra de toute son âme à la mission qui lui était dévolue. Il fut secondé par d’exellents collaborateurs : P. Orts, Louwers, Crokaert au Havre, Denyn à Londres.

Malheureusement, la Force Publique , telle qu’elle existait en 1914, était tout au plus apte à mener des opérations de police à l’intérieur du pays. Ses effectifs et son armement représentaient bien peu de chose. Si au début de la guerre elle put aider nos alliées à conquérir le Cameroun, le contingent belge ne comporta jamais plus de 570 soldats et 10 Européens. Les opérations dans l’Est Africain allemand eurent une tout autre envergure : elle mirent en mouvement l’effectif d’une division : près de 12.000 hommes encadrés par 720 Européens.

Pour forger pareil instrument de guerre, le gouvernement eut à se procurer dans une Europe en plein désarroi non seulement les hommes nécessaires, mais les armes, les munitions, le ravitaillement, le matériel de campement, le matériel sanitaire etc., et en assurer l’expédition au centre d’Afrique. Pendant des mois ce fut un défilé ininterrompu à travers les océans, sur les bateaux du fleuve, sur les routes accidentées et interminables de la province orientale ou de l’Uganda.

Cet immense effort trouva sa récompense lorsque, après une première campagne, le général Tombeur entra victorieux à Tabora et lorsque, au cours d’une seconde campagne, le colonel Huyghe, sollicité par nos amis britanniques, parvint à Mahenge.

Bien entendu, ces opérations militaires menées de concert avec nos alliés entraînèrent avec ceux-ci des négociations délicates qui plus d’une fois donnèrent du souci à notre gouvernement. Dans tout ces domaines l’énergie et la clairvoyance de Renkin firent des merveilles.

Cette énergie et cette clairvoyance s’étalent dans la correspondance privée qu’il échangea pendant la guerre de 1914 avec le gouverneur général Henry et dont nous avons eu l’avantage de prendre connaissance. Le ministre s’entretient – cela va de soi – avec le chef du gouvernement local de bien d’autres sujets que de sujets militaires. Il est intéressant d’y constater à la fois la haute conception qu’il fait de l’intérêt public et sa connaissance approfondie des détails en ce qui concerne les hommes et les choses. Nul n’est mieux au courant des qualités et des défauts du personnel territorial. Son sens de l’équité apparaît pleinement dans la phrase suivante : « Je suis plus que jamais décidé à ne plus frapper un agent sans l’entendre ».

Immédiatement après la guerre il passa à un autre poste de combat. Il fallait un homme de décision pour réorganiser le réseau ferré belge. Renkin avait fait ses preuves au ministère des colonies. Il fut transféré au ministère des chemins de fer. Avec une rapidité étonnante le réseau belge se trouva remis en état.

Ensuite, il rentra dans le rang pendant plusieurs années au cours desquelles il exerça la charge de bâtonnier de l’ordre des avocats à Bruxelles. En 1931 il rentra en scène, au premier rang : il succéda à Henri Jaspar comme chef du gouvernement.

Le 21 octobre 1933, en une occasion solennelle, à la réunion organisée à l’Union Coloniale Belge pour célébrer le 25e anniversaire de l’annexion du Congo à la Belgique , les coloniaux revirent une dernière fois le premier ministre des colonies. C’était quelques mois avant sa mort. Il y prononça un discours émouvant. Il rappela un propos de Léopold II qu’il aurait pu reprendre pour lui-même : « … Un jour que, jeune ministre, mal dégagé encore des brouillards de notre politique courante et frappé des difficultés qui s’accumulaient sur la voie de l’annexion, je lui dis : Sire, nous sommes dans la tempête ! » Il me répondit : « Cela ne fait rien, il y a 45 ans que je vis dans la tempête et je ne suis pas fatigué ».

Jules Renkin a été un grand serviteur du pays. On a dit : sans lui il n’est pas certain que la Belgique aurait accepté le Congo. C’était par excellence un homme d’action, mais c’était aussi un homme de réflexion et d’études. Ce solitaire lisait beaucoup. De là sa sûreté dans les discussions, même religieuses. Un de ses amis l’ayant appelé un docteur de l’église raté, il répondit avec une amusante indignation simulée : « Pourquoi raté ? ».

 

F. Dellicour – Biographie Coloniale Belge.

 

Bruxelles, Palais de la Nation.