SCHOLLAERT, Frans, V.-M.-G.

Né à Wilsele, le 19 août 1851, décédé à Sainte-Adresse, le 29 juin 1917.

 

Ministre d'État.

Président de la Chambre des Représentants, 1901-1908, 1912-1917.

Premier Ministre, 1908-1911.

Ministre de l'Intérieur, 1895-1899, 1908-1911.

Ministre des Sciences et Arts, 1910-1911.

Ministre de l'Agriculture, 1908-1910.

 

Grand Croix de l'Ordre de la Couronne, Grand Officier de l'Ordre de Léopold, Croix Civique de 1re Classe, Médaille Commémorative du Règne de Léopold II.

Grand Croix de l'Ordre de la Légion d'Honneur de France, de l'Ordre Pontificial du Pie, de l'Ordre de Saint-Olaf de Norvège et de l'Ordre de l'Étoile de Roumanie, Commandeur de l'Ordre du Mérite Agronomique de France.

 

Evoquant devant le ministre Paul Segers, le souvenir de Frans Schollaert, Charles Woeste eut ce mot drôle : « On voyait bien que Schollaert était célibataire, il ne savait pas faire de concessions ».

En effet, le nouveau chef de cabinet désigné au libre choix du roi par la quasi-unanimité de ses conseillers, était un vieux garçon endurci, énergique, intelligent et plein de bon sens. Alors que J. de Trooz flairait l’opinion de la Chambre et sentait plus qu’il ne comprenait les dossiers, Schollaert comprenait beaucoup mieux qu’il ne sentait. Il faut ajouter son entêtement proverbial. Lorsque le ministre, après avoir mûrement étudié un dossier, avait prise une décision, personne pas même le pape – et Dieu sait s’il était bon catholique – n’aurait pu le faire changer d’opinion ; au demeurant, le meilleur homme du monde.

Il avait repris la tradition des chefs de cabinet, puisqu’il était docteur en droit, avait été élu conseiller provincial du Brabant et député depuis 1888 à l’époque où les électeurs censitaires profitaient de toutes les occasions pour renforcer la majorité parlementaire de la droite.

Né à Wilsele  près de Louvain, en 1851, il avait donc 37 ans lorsqu’il entra au Parlement. Quelques rapports bien faits, et un travail acharné, lui avaient valu de recevoir le portefeuille de l’intérieur en mai 1895, après la démission du comte de Merode-Westerloo à la suite de l’échec de la première tentative de cession du Congo à la Belgique. De Burlet avait pris pour lui les affaires étrangères et confié le ministère de l’intérieur au député de Louvain.

Dans ses nouvelles fonctions, il n’avait point tardé à montrer une grande activité. Avec l’accord de Woeste, devenu depuis la retraite de Beernaert, le chef incontesté de la droite, il avait accepté de faire voter la loi de 1895 rendant l’enseignement de la religion obligatoire dans toutes les écoles primaires communales, sauf dispense des parents. Cette mesure peut nous paraître aujourd’hui excessive, mais en 1895 elle correspondait certainement à la mentalité de la majorité de la Chambre et celle-ci élue au suffrage universel plural, représentait la majorité du pays.

Une autre de ses initiatives souleva d’âpres critiques, mais était certainement intéressante. Le suffrage plural étendu aux élections provinciales et communales, aurait eu comme conséquence d’amener dans les grandes villes du pays, une majorité de gauche, car le nombre d’électeurs à une voix y dépassait de loin celui des électeurs à deux et trois voix. Pour renforcer l’élément conservateur, et du reste avec l’appui tacite des quelques libéraux échappés au massacre électoral de 1894, il fit accorder une quatrième voix aux propriétaires et aux censitaires lors des élections communales. C’est ce qu’Edouard Anseele, le leader socialiste gantois, appela « la loi des quatre z’infamies ». La loi contenait cependant une initiative fort intéressante, elle supprimait le scrutin de ballottage pour les élections communales et instaurait la représentation proportionnelle au cas où les élus n’auraient pas obtenu la majorité absolue. En outre, le conseil communal devait se compléter par l’élection d’un certain nombre de membres cooptés choisis parmi les citoyens capables d’apporter leur concours à la gestion communale. Malheureusement, les citoyens capables d’apporter leur concours à la gestion de la commune ne se trouvaient jamais appartenir au parti de la minorité.

Nous n’avons jamais compris comment cet homme intelligent en arriva à soutenir Vandenpeereboom dans sa folle tentative pour écarter la représentation proportionnelle devenue inévitable et instaurer un régime électoral destiné à assurer la majorité catholique pour des temps lointains. Nous croyons que chez lui, une étrange passion politico-religieuse l’emporta sur la sagesse et qu’en toute bonne foi, il s’imagina rendre service à ses concitoyens en leur assurant, pour les temps futurs, une majorité parlementaire destinée à faire leur bonheur en ce monde et dans l’autre. Douze ans plus tard, en voulant assurer l’égalité entre les deux réseaux de l’enseignement primaire, sans tenir compte de l’état d’esprit d’une grande partie de la population de l’époque, il commit la même faute qui eut la même conséquence, sa retraite des affaires.

Après la démission de Vandenpeereboom, il redevint simple député, mais deux ans plus tard, de Sadeleer, successeur de Beernaert à la présidence de la Chambre, manifesta le désir de se retirer et Schollaert fut choisi, par la droite, pour diriger les débats. Rapidement, il s’avéra un remarquable président, amène et ferme, plein de sang-froid et de tact ; il acquit durant les sept années qui suivirent une grande autorité. A la mort de de Trooz, chacun comprit qu’il fallait un homme énergique pour diriger les affaires du pays et conduire à son terme la difficile annexion du Congo. Par devoir, Schollaert accepta de diriger le ministère, se chargea du portefeuille de l’intérieur et reprit tous les collaborateurs de son prédécesseur.

En appelant au pouvoir de Frans Schollaert, le roi s’était donné le rôle facile de paraître céder aux vœux du pays en nommant ministre un homme dont tout le monde connaissait l’hostilité au maintien de la fondation royale. Léopold II était trop tenace pour marquer immédiatement son accord et ce ne fut qu’après des discussions délicates qu’un acte additionnel vint modifier le projet de traité préparé par de Trooz et le Souverain de l’Etat Indépendant du Congo. Encore le roi ne céda-t-il qu’après un voyage discret à Berlin où il se rendit compte qu’il ne pouvait pas davantage compter sur l’appui du gouvernement allemand que sur celui du gouvernement anglais. Derrière les querelles juridiques se cachait l’idée d’un partage de l’Etat Indépendant entre les grandes puissances. Le roi s’en rendait parfaitement compte, v’est pourquoi il finit par céder. Le nouvel accord prévoyait qu’une somme de cinquante millions serait mise à sa disposition pour lui permettre d’exécuter de grands travaux dans la future colonie, tandis que la Belgique s’engageait à consacrer quarante-cinq millions pour acheter les travaux entrepris dans le pays par Léopold II.

Ainsi, le roi semblait avoir cédé, tout en étant le grand vainqueur, puisque la fondation royale ne disparaissait qu’apparemment, remplacée par la fondation Niederfulbach et que le roi obtenait en outre une somme totale de 95 millions pour lui permettre de continuer son œuvre. Le procédé peut paraître discutable et, au surplus, échoua car la fondation allemande fut, après le décès du roi, déclarée illégale, mais il montre la ténacité de Léopold II dans la poursuite de ses desseins et ce désintéressement dont il devait donner tant de preuves au cours de son règne.

Le dépôt de l’acte additionnel avait permis la reprise de la discussion de la charte coloniale par le Parlement. Ce ne fut pourtant qu’après de longues discussions soutenues au nom du gouvernement par Renkin, ministre de la justice, que le vote fut acquis par 83 voix contre 59 et 9 abstentions. La droite presque unanime avait voté le projet, appuyée par une partie des libéraux. A l’unanimité le parti socialiste vota contre le projet, mais Vandervelde sut mettre, dans son opposition, d’infinies nuances.

La reprise du Congo renforça l’autorité morale de Schollaert ; il en profita pour résoudre enfin le problème militaire. La loi de 1902, sur le volontariat, s’était révélée un échec total alors que la situation politique de l’Europe était devenue inquiétante. Au mois d’octobre 1908, l’Autriche-Hongrie avait brusquement annexé la Bosnie-Herzégovine et le même jour, le prince Ferdinand de Bulgarie s’était proclamé Tsar. Un moment, la paix de l’Europe avait paru menacée, puis la tempête s’était calmée non sans que ne subsistât une sourde inquiétude dans les chancelleries. Face à la formidable armée allemande et à l’imposante force militaire française, remise de la crise dreyfusienne, la Belgique en était restée à la petite armée de 1870. Le roi débarrassé du souci congolais, pressa son chef de cabinet de mettre le pays en état de défense ; Schollaert eut le mérite de comprendre l’angoissant appel du souverain.

Malheureusement, le pays n’avait pas saisi la gravité de la situation internationale. Depuis 80 ans, la neutralité lui avait assuré la paix et le précédent de 1870 l’avait renforcé dans ses illusions. Le gouvernement n’eut pas l’habileté de préparer l’opinion publique par une campagne de presse ou de conférences, comme de Broqueville devait le faire, trois ans plus tard. C’est regrettable, d’autant plus que la grande majorité de la droite, dominée toujours par l’écrasante personnalité de Charles Woeste, demeurait hostile à toute augmentation du contingent et à la suppression du remplacement.

Dans le courant de l’année 1909, Schollaert déposa un projet de loi supprimant le remplacement et instaurant le service militaire d’un fils par famille ; régime qui avait l’avantage apparent de satisfaire la population catholiques des Flandres où le nombre de familles nombreuses était plus élevé qu’en Wallonie, mais l’inconvénient réel d’être peu compatible avec la constitution prévoyant le vote annuel du contingent et de laisser, au hasard de la natalité, le soin de fixer le nombre de miliciens appelés chaque année sous les drapeaux.

Ne pouvant compter sur la majorité de son parti, Schollaert escompta l’appui du parti libéral et du parti socialiste, et c’est ainsi qu’avec l’aide de la jeune droite, représentant un tiers de la majorité, et le vote de l’opposition tout entière, le roi, au seuil de la tombe, put réaliser le rêve de son règne, la suppression du remplacement. Woeste, avec le gros de la droite, avait voté contre la loi et Beernaert, partisan du service généralisé, s’était abstenu par scrupule constitutionnel.

Charles Woeste ne devait jamais pardonner à Schollaert la suppression du remplacement et son attitude équivoque, pour ne pas dire hostile, 18 mois plus tard, lors de la discussion du bon scolaire fut la conséquence directe de cet incident. Pourtant il est probable qu’une autre raison plus personnelle encore se trouvait à l’origine de l’hostilité que Woeste montrait au chef de cabinet. En 1908, le Ministre d’Etat avait rêvé d’obtenir du roi un titre de noblesse et Schollaert avait commis la maladresse de ne pas appuyer très vivement ce désir auprès de Léopold II. Le roi n’aimait pas Woeste, même s’il s’en était beaucoup servi pour la réussite parlementaire de sa politique coloniale ; en privé, il l’appelait « l’homme funeste ». Lorsque le souverain connut le désir de son ancien ministre, de recevoir le titre comtal, il eut ce commentaire plein de dédain, mais derrière lequel se cachait une secrète admiration « S’appeler Monsieur Woeste et vouloir être comte !... »

La mort de Léopold II marqua en Belgique le déclin de la Belle Epoque, dont la nuit du 2 août 1914 devait sonner le glas. Quarante-quatre ans plus tôt, le décès du roi Léopold n’avait pas modifié la politique intérieure et il avait fallu l’heureuse coïncidence du Congrès de Berlin et de l’avènement au pouvoir de Beernaert, pour que le règne prenne son essor et que le géant sortît de son entresol. Il n’en fut pas de même au lendemain de la mort du grand roi. Léopold II était un homme du XIXe siècle, son neveu appartenait aux temps nouveaux. Le vieux souverain n’avait jamais compris grand-chose à la question flamande et rien du tout à la question sociale. Le roi Albert comprenait fort bien la question flamande et encore mieux la question sociale. Schollaert était l’homme du vieux roi, de Broqueville serait l’homme du jeune.

Au lendemain de la mort de Léopold II, les élections du mois de mai 1910 avaient encore affaibli la majorité catholique réduite à six voix ; la droite payait le prix du courage politique du chef de cabinet, offrant à son vieux souverain mourant le service militaire d’un fils par famille, mais les électeurs campagnards des Flandres aussi bien que de Wallonie n’avaient pas compris l’urgente nécessité de la loi et l’heure de la chute du parti catholique semblait prochaine.

Frans Schollaert crut-il rallier autour de lui ses amis politiques de plus en plus divisés en une vieille droite usée par 25 ans de pouvoir et une jeune aux dents longues. Voulut-il assurer avant la perte du pouvoir, l’égalité entre les deux réseaux d’enseignement ou bien cet honnête homme, profondément religieux fut-il choqué par l’existence difficile surtout dans les grandes villes à majorité de gauche d’un grand nombre d’écoles libres qui ne recevaient de l’état que de maigres subsides. Personne ne pourra         jamais dire avec certitude le motif qui poussa cet homme secret à déposer, au début de 1911, le projet de loi connu sous le nom de « loi du bon scolaire ».

Schollaert commit une fois encore la même maladresse que lors du vote de la loi sur la suppression du remplacement. Il ne prépara pas l’opinion publique à ses idées et donna l’impression de proposer non une loi parfaitement justifiable en son principe, mais une loi partisane.

Malgré les apparences, le projet ne manquait pas de sagesse, il prévoyait qu’un bon scolaire serait donné à chaque père de famille, qui le remettrait à l’école de son choix et les subsides seraient partagés entre les deux réseaux de l’enseignement au prorata des bons reçus. Tout compte fait, ce système n’est pas tellement différent de l’actuel pacte scolaire. Seulement, la grande différence venait de ce que les subsides seraient payés non par l’état comme de nos jours, mais par les communes. C’était forcer les majorités de gauche des moyennes et grandes villes du pays à subsidier l’enseignement libre, ce qui soulevait le colère unanime des libéraux et des socialistes. En même temps, la loi prévoyait l’établissement d’un 4e degré destiné aux enfants ayant terminé leurs études primaires, et qui ne voulaient ou pouvaient poursuivre des études moyennes. Enfin, elle supposait que par voie d’amendement, l’enseignement obligatoire et gratuit jusque 14 ans pourrait être introduit dans la loi. Tout cela n’était pas mauvais. Au surplus, en proposant l’enseignement obligatoire et gratuit, Schollaert rencontrait les désirs de l’opposition qui avait inscrit depuis fort longtemps, cette réforme à son programme. Sans le dire, le ministre espérait recommencer la manœuvre qui lui avait si bien réussi lors du vote de la loi militaire, et obtenir l’appui de l’opposition.

Le projet fut déposé sur le bureau de la Chambre alors que l’opinion publique ne s’y attendait pas. Très mal accueilli par la gauche qui ne voulait y voir que la chasse à l’enfant organisée par le bon scolaire et qui feignait d’ignorer l’enseignement obligatoire, le projet rencontre en outre, l’hostilité d’une partie des électeurs catholiques. En effet, les paysans et les ouvriers se montraient fort mécontents d’une loi qui allait empêcher leurs enfants de les aider dans les champs ou de travailler dans les usines pour gagner quelques sous à partir de 12 ans. Devant la réaction de leurs électeurs, les députés catholiques se montrèrent hésitant et Woeste qui, depuis la loi supprimant le remplacement, détestait le chef de cabinet, se montra fort réticent. C’est ainsi qu’un projet dont le principe était loin d’être mauvais, souleva contre lui l’hostilité de toute la gauche, sans rallier la majorité.

Au début du printemps de 1911, le roi entreprit un voyage en Egypte pour achever le rétablissement de la reine, dont la santé avait été fort ébranlée l’année précédente, mais avant de partir, le souverain avait obtenu l’assurance du chef de cabinet, que la tranquillité publique ne serait pas troublée en son absence.

A son retour, le roi Albert trouva le Belgique en proie à une violente agitation. La politique de gronde-voirie reprenait ses droits et les chiennes d’enfer, suivant l’expression d’Edmond Picard, se déchaînèrent. Le roi fut fort mécontent et ne le cacha pas à Schollaert en lui faisant part de ce qu’il avait consulté Cooreman, président de la Chambre. Celui-ci conseilla d’appeler Woeste et Beernaert, Ministres d’Etat, Simonis, président du Sénat, ainsi que Dupont – Ministre d’Etat libéral – ce qui était, avant la première guerre mondiale considéré comme interdit au souverain qui ne pouvait avoir d’autres conseillers que ses ministres et les membres de la majorité. Le roi convoqua donc pour le samedi 3 juin dans l’après-midi Beernaert et pour le lendemain, Woeste.

A partir de ce moment les événements vont se précipiter. Conformément à la déontologie constitutionnelle, le roi prévint Schollaert de ses intensions, le samedi 3 juin en fin de matinée. Celui-ci reçut-il le message royal avant son départ pour sa propriété de Vorst où il avait l’habitude de passer ses week-ends. Il l’a toujours nié, mais il est possible qu’il ait reçu le message royal avant de partir et refusé de l’ouvrir ; il en connaissait certainement la teneur, car il en avait été avisé, par téléphone, par un journaliste qui tenait lui-même la nouvelle d’un membre de l’entourage royal.

Froissé de l’attitude du souverain, Schollaert quitta immédiatement le ministère pour ne revenir que le mardi matin et prendre officiellement connaissance de la lettre du roi.

Après son audience, au palais de Laeken, Beernaert ne cacha pas qu’il avait conseillé au roi la retraite du ministère et des élections immédiates. Woeste prétend dans ses Mémoires, avoir suggéré la prise en considération du projet et puis son renvoi en section pour examen, ce qui aurait amené probablement Schollaert, discrètement désavoué, à se retirer. Quoi qu’il en soit, le chef du cabinet fut reçu au palais immédiatement après son retour et eut, avec le souverain dans la matinée du 6 juin, un entretien assez difficile. Dans l’après-midi, il réunit le conseil de cabinet et c’est probablement au cours de cette réunion que la démission du ministère fut décidée, mais en même temps il fut entendu que cette démission resterait secrète jusqu’au lendemain et qu’elle ne serait remise au roi qu’après les débats de la Chambre où la prise en considération du projet devait être discutée. Au cours de la séance du mercredi, Woeste prit la parole et en apportant du bout des lèvres, sa confiance au cabinet il termina son discours en affirmant : « Non, pour nous, votre projet n’est pas l’idéal ».

Il était donc naturel que la démission du ministère, rendue publique le jeudi fût attribuée à Woeste et la droite unanime ne lui cacha pas son mécontentement. En réalité cet incident sur lequel nous nous sommes volontairement étendu, marque bien la différence entre le vieux roi et son successeur. Léopold II avait révoqué le cabinet d’Anethan et deux membres du ministère Malou, le roi Albert ne révoqua jamais aucun de ses ministres, il se bornait à leur faire comprendre qu’ils avaient perdu sa confiance. De Broqueville en 1918 et Renkin en 1932 subirent le même sort. Le roi ne heurte jamais l’opinion publique, il la devine et parfois la dirige. Si paradoxal que cela puisse paraître, l’autorité du grand roi sera moindre que celle de son héritier ; d’abord parce que la disparition de la majorité absolue catholique donnera au roi Albert des possibilités d’interventions que le règne de Léopold II n’avait jamais connues, ensuite parce que la popularité du roi était telle qu’elle lui donnait une autorité morale que son oncle avait peu à peu perdue, et dont, au surplus, le roi Albert saura toujours user avec une modération et un tact infinis.

Avec la retraite de Schollaert, l’ère léopoldienne était close. De Broqueville prit le pouvoir et profita du désir de Cooreman de quitter la présidence de la Chambre pour y replacer, d’accord avec Woeste, l’ancien chef du cabinet. Il est possible que de Broqueville ait éloigné discrètement son prédécesseur, demeuré fort populaire parmi les membres de la majorité, des chemins du pouvoir, tandis que Woeste écartait l’homme à qui il vouait une tenace rancune.

Dans la journée du 4 août 1914, Schollaert présida pour la dernière fois la séance de la Chambre ; il suivit le gouvernement à Anvers, puis au Havre, chez sa sœur Mme Helleputte, s’occupant des œuvres d’assistance aux réfugiés belges en France et mêlée aux querelles des éternels Coblence. Cet honnête homme mourut au Havre le 29 juin 1917 sans avoir vu se lever l’aube de la victoire, laissant dans notre histoire le souvenir, non d’un grand homme d’état, mais d’un ministre courageux qui eut le mérite de résoudre l’épineux problème congolais et la suppression du remplacement. Ce sont services qui méritent respect.

 

Bartelous, J., Nos premiers ministres de Léopold Ier à Albert Ier, Brussel, 1983.