VAN DEN HEUVEL, Jules.

Né à Gand, le 16 novembre 1854, y décédé, le 22 octobre 1926.

 

Ministre d'État.

Ministre de la Justice, 1899-1907.

Membre de la Chambre des Représentants.

Envoyé Extraordinaire et Ministre Plénipotentiaire.

Membre de l'Académie Royale de Belgique.

 

Grand Croix de l'Ordre de Léopold et de l'Ordre de la Couronne, Croix Civique 1re Classe, Médaille Commémorative du Règne de Léopold II.

Grand Croix de l'Ordre Pontificial de Saint-Grégoire le Grand, de l'Ordre du Sauveur de Grèce, de l'Ordre de l'Aigle Rouge de Prusse et de l'Ordre de Sainte-Anne de Russie, Grand Officier de l'Ordre de la Légion d'Honneur de France.

 

 

VAN DEN HEUVEL, Jules, Norbert, Marie, juriste et homme d’état, né à Gand le 16 novembre 1854, y décédé  le 22 octobre 1926.

Ses parents, commerçants en bonneterie de fortune modeste, lui firent faire ses humanités dans sa ville natale, au Collège Sainte-Barbe, où ses qualités intellectuelles le portèrent, au cours des deux dernières années, à la tête de sa classe. Il continua de figurer aux premiers rangs de la suite de sa carrière, au barreau et dans la vie publique. Ainsi qu’il était alors d’usage, l’enseignement lui fut donné exclusivement en français, mais il parlait couramment le flamand. Entré en 1873 à l’Université de Gand, il y fit son droit et se lia d’une étroite amitié avec Albert Nyssens, futur ministre du Travail, et avec Léon Théodor, futur bâtonnier du barreau de Bruxelles. Elève de François Laurent, civiliste de réputation européenne, « il reconnaissait – écrit Louis de Lichtervelde – les facultés éminentes du légiste, la logique et la souplesse de l’esprit », mais il rejetait complètement la philosophie qui l’inspirait ; « il y avait en effet, une opposition complète de vues et de tendances sur la valeur de l’homme, sur les droits et les devoirs de l’Etat, sur le bien-fondé et sur les sens de la Constitution belge. Les théories de Laurent, qui exerçaient une forte influence sur la doctrine et la jurisprudence, allaient trouver dans ce brillant étudiant, un adversaire redoutable ».

L’œuvre maitresse de Van den Heuvel dans le domaine de la doctrine juridique est le volume de 358 pages publié en 1882 et intitulé : De la situation légale des associations sans but lucratif ; c’est un recueil d’articles qu’il avait écrits à l’âge de vingt-huit ans dans la Revue Générale pour combattre les thèses de Laurent. Outre son diplôme de docteur en droit, Van den Heuvel avait conquis celui de docteur en sciences politiques et administratives. Ayant remporté une bourse de voyage, il avait, en outre, complété ses études par trois ans de séjour à Paris, Berlin, Rome et en Angleterre.

Quand, en 1879, il s’était inscrit au barreau de Gand, les luttes politiques y étaient particulièrement vives. Avec ses amis Albert Nyssens et Fernand de Smet de Naeyer, il participe à la fondation d’un hebdomadaire catholique, L’Impartial, dans lequel il consacre de nombreux articles particulièrement à la liberté de l’enseignement et à la liberté d’association dont il fit sa spécialité. Une étude sur le jury en France et en Angleterre lui valut, en 1881, le prix Odilon Barrot de l’Institut de France.

Sa carrière universitaire s’ouvre en 1883. Agé de vingt-neuf ans, il est appelé, à l’Université de Louvain, à la chaire de droit public. Elle fit sa réputation. « Il l’illustra pendant trente ans. Elle le conduisit au gouvernement et à la diplomatie ». Il enseigna en outre pendant deux ans le droit pénal.

Selon le témoignage de Louis de Lichtervelde, qui fut son élève, « le professeur était incomparable. Il avait pris chez Laurent cette vie qui anime l’enseignement du droit et cette passion de faire travailler le cerveau de l’auditeur… Il s’était attaché à l’analyse de la Constitution belge dans son texte, dans ses antécédents historiques, dans son fondement ». Son prestige auprès de ses élèves était immense. Il fut, à l’Université de Louvain, le principal fondateur de l’Ecole des Sciences politiques et sociales et l’initiateur de l’enseignement du droit comparé. C’est là, dit Lichtervelde, qu’il entrait le plus directement en contact avec ses élèves en orientant leurs travaux ».

La position qu’il avait ainsi acquise lui valut son élection, comme correspondant de la Classe des Lettres et des Sciences Morales et Politiques de l’Académie Royale le 4 mai 1908 et, comme membre, le 5 mai 1919.

En dépit de ses charges universitaires, Van den Heuvel avait continué à résider à Gand et à y pratiquer le barreau où il acquit une clientèle importante. L’avocat y poursuivait, pour ses stagiaires et collaborateurs, l’enseignement du professeur. L’un d’eux en a défini le sens, au cours d’une manifestation qui eut lieu en 1907. « Vous nous montriez, lui dit-il, comment le droit n’est pas une scolastique subtile mais une science sociale qui cherche ses lois dans les faits qu’elle est appelée à régir. Vous conceviez les théories non comme des constructions idéologiques mais comme des synthèses auxquelles le Droit prête le moule de ses formules et le cadre de ses systèmes ».

En 1899, Paul de Smet de Naeyer fut chargé par Léopold II de former un ministère pour résoudre, par l’introduction de la représentation proportionnelle, le problème électoral qui divisait la Droite. Il fit appel à Van den Heuvel, avec lequel il était lié d’amitié, et lui offrit le portefeuille de la Justice. Van den Heuvel détint ce portefeuille pendant huit ans. Professeur plus qu’orateur parlementaire, c’est par la clarté de son esprit qu’il exerçait son autorité ; elle explique notamment l’impression que fit sur la Chambre son exposé du mécanisme délicat du nouveau système électoral. « Si entraînante fut la dialectique du maître –suivant Henry Carton de Wiart – que l’on vit maints de ses auditeurs, d’abord réfractaires à une réforme dont leur mandat devait être la rançon, accepter ce suicide par persuasion ».

Il défendit en outre devant le Parlement la loi sur le contrat de travail, le régime successoral des petits héritages, les unions de crédit, les jeux, l’acception de la Donation Royale, la réforme de la procédure en divorce, la navigation, la réforme des sociétés anonymes, la recherche de la paternité. S’il contribua à la réalisation de plusieurs des idées de Léopold II, notamment en ce qui concerne la Donation Royale, il lui résista quand il le jugea nécessaire. Il ne voulut pas transiger sur la sanction de la loi sur les jeux à laquelle Léopold II objectait au nom des intérêts matériels d’Ostende et il ne consentit pas à défendre intégralement les vues du Roi quant au maintien au Congo des grandes fondations qui auraient limité la souveraineté belge.

En quittant le gouvernement en 1907, il fut nommé, bien qu’il n’appartînt pas au Parlement, ministre d’Etat. Il prit part en cette qualité au Conseil de la Couronne, le 2 août 1914, et fut, aux côtés de Henri Carton de Wiart et de Paul Hymans, l’un des rédacteurs de la réponse à l’ultimatum allemand.

Ses fonctions ministérielles ayant pris fin, sa nomination comme second délégué de la Belgique à la deuxième Conférence Internationale de la Paix qui se réunit à La Haye en 1907, l’orienta dans la voie diplomatique. Avec Beernaert il signa en qualité de plénipotentiaire, notamment la Convention pour le règlement pacifique des conflits internationaux, la Convention concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, la Convention concernant les droits et les devoirs des puissances et des personnes neutres en cas de guerre sur terre.

Dans les années qui suivirent, il devint, pour le ministre des Affaires étrangères, un conseiller extraordinaire, particulièrement au moment où, en 1914, la tension internationale mit la paix en péril.

Quand la Belgique fit envahie, il suivit le gouvernement à Anvers et au Havre. Au début de 1915, le premier ministre de Broqueville eut l’idée de l’envoyer comme ministre de Belgique auprès du Saint-Siège. Les circonstances conféraient à ces fonctions une importance exceptionnelle ; la Belgique était la seule puissance catholique dans le camp de l’Entente à entretenir des relations diplomatiques avec le Vatican. La sympathie avec laquelle il y fut accueilli lui permit de défendre avec succès la cause belge. Il obtint de Benoît XV, qui avait loué publiquement « sa passion de la Justice », une déclaration qui blâmait explicitement la violation de la neutralité belge, malgré le désir d’abord exprimé par le Pape de demeurer dans le domaine des principes. Van den Heuvel s’était lié avec le cardinal Gaspari, secrétaire d’Etat, qui, ayant enseigné le droit canon à Paris, le traitait en collègue, et, à la Bibliothèque Vaticane, avec Mgr Ratti, le futur Pape. La visite du cardinal Mercier à Rome, en 1916, fut le point culminant de sa mission.

La guerre ayant pris fin, Hymans allait présider la délégation belge à la Conférence de la Paix en sa qualité de ministre des Affaires Etrangères ; il fit appel au concours de Van den Heuvel. Il eut avec lui, dans les premiers jours de décembre 1918, plusieurs entretiens au cours desquels il lui exposa ses vues et obtint son accord. Van den Heuvel résigna ses fonctions à Rome le 24 décembre. Hymans, dont il devenait le collègue, le tenait en haute estime. « C’était, écrit-il, un caractère loyal, un esprit précis, tolérant. J’eus pendant de longs mois avec lui des relations pleines de sûreté et de cordialité. Je consultais mon éminent collègue de la délégation M. Van den Heuvel, dans toutes les circonstances délicates. Je le tenais au courant de mes faits et gestes et j’en délibérais avec lui ». La question des Réparations lui fut confiée. Il eut à établir le cahier des dommages subis par la Belgique et à préparer les solutions à soumettre à la Conférence. Il présidait l’une des trois sections de la Commission des Réparations dont Klotz, le ministre des Finances de France, était le président. Le 29 avail 1919, la délégation belge défendit ses revendications devant le Conseil Supérieur où siégeaient, sous la présidence de Clemenceau, Wilson et Lloyd George entourés d’un état-major de techniciens. Après l’exposé introductif d’Hymans, Lloyd George admit le principe d’une priorité de paiement mais combattit le remboursement des frais de guerre qui constituerait un privilège à l’égard de tous les alliés. Van den Heuvel répliqua. « Il fut, écrit Hymans, clair, précis, méthodique ; les arguments étaient nettement découpés ; la voix fine et pénétrante. Ce fut une plaidoirie de grand avocat ». A la suite de durs combats qui avaient mis le pays en émoi, la Belgique obtint une priorité, sur les premiers paiements de réparation de l’Allemagne, de 2 milliards et demi de francs or et la libération de ses dettes de guerre s’élevant à plus de 5 milliards de francs or.

La Conférence de la Paix, cependant, déçut Van den Heuvel. Un de ses amis, Louis Verhaeghe, rapporte qu’il fit, en juillet 1919, des pronostics pessimistes sur le traité qui venait d’être signé ; il ne serait jamais exécuté, pensait-il ; on avait eu tort, à son avis, de ne pas fixer la dette allemande, de détruire l’Autriche. Il parut cependant au Parlement en qualité de commissaire du Roi quand le traité fut soumis à l’approbation des Chambres.

A dater de ce moment, sa santé déclinante allait l’obliger peu à peu à la retraite ; il refusa toute nouvelle fonction politique et dut se décharger de son enseignement à l’Université de Louvain. Quand il mourut à Gand, le 22 octobre 1926, le gouvernement représenté par Hymans, alors ministre de la Justice, rendit un suprême hommage à la vie féconde et à la noble figure du juriste et de l’homme d’Etat.

 

Fernand Vanlangenhove  – Biographie Nationale.