van de VYVERE, Vicomte Aloys, J.-M.-J.

Né à Tielt, le 8 juin 1871, décédé à Paris, le 22 octobre 1961.

 

Ministre d'État.

Premier Ministre, 1925.

Ministre de l'Agriculture, 1925-1926.

Ministre des Finances, 1914-1918, 1925.

Ministre des Affaires Économiques, 1920-1924.

Ministre de la Justice, 1921.

Membre de la Chambre des Représentants.

 

Grand Croix de l'Ordre de Léopold et de l'Ordre de la Couronne, Croix Civique de 1re Classe, Médaille Commémorative du Centenaire.

Grand Croix de l'Ordre Pontificial de Saint-Grégoire le Grand, de l'Ordre d'Isabelle la Catholique d'Espagne, de l'Ordre de la Couronne de Chêne de Luxembourg, de l'Ordre du Lion Néerlandais, de l'Ordre de l'Étoile d'Éthiopie, de l'Ordre du Phénix de Grèce, de l'Ordre de la Couronne de Roumanie, de l'Ordre du Nil d'Egypt et de l'Ordre de la Couronne d'Italie, Distinguished Service Medal États-Unis.

 

Aloys van de Vyvere est issu d’une famille flamande aisée de Tielt, où son père, Jean-Baptiste van de Vyvere, exploitait un atelier de tissage. Sa mère, Valerie Sierens, était connue comme une femme remarquablement intelligent. Le jeune Aloys fit de brillantes études moyennes au Collège épiscopal de Tielt et il se distinguait dans des concours scolaires régionaux et nationaux. Son goût pour les langues classiques et, en particulier, pour les chefs-d’œuvre grecs date de cette époque. En 1888, il entama des études de droit et de philosophie thomiste à l’Université de Louvain où il s’engagea activement dans la vie culturelle et sociale. Il y créa, avec Pieter-Jozef Sencie, le futur monseigneur, le Vlaamse Sprekersbond, lequel avait pour but d’opposer une vue chrétienne au socialisme matérialiste, tel qu’il était propagé notamment par le groupe gantois autour d’Edouard Anseele. Il participa également à la création de la revue estudiantine Ons Leven en vue de promouvoir la renaissance de la langue et de la culture flamandes. Il fut très apprécié par le professeur Désiré Mercier, le futur Cardinal, qui voyait en lui un candidat-professeur en philosophie thomiste. A ce moment déjà s’établissaient entre les deux hommes des liens fondés sur une confiance réciproque, qui prendront toute leur importance dans la vie politique.

Ses études terminées, il s’installait comme avocat à Gand, où, vraisemblablement sous l’influence d’Auguste Beernaert, il commençait à militer en faveur du parti catholique, en s’attachant plus particulièrement à la tendance sociale de celui-ci. Au début de 1909, il prit part, dans des circonstances exceptionnelles, à la constitution du premier collège échevinal catholique-socialiste que connaissait une ville belge ; il accepta lui-même un échevinat dans un collège où siégeait, entre autres, Edouard Anseele.

Le 22 mai 1910, il fut élu député suppléant de l’arrondissement de Tielt ; le 9 février 1911, il devint membre effectif de la Chambre des Représentants.

En juin 1911, le Roi Albert, qui l’avait remarqué, l’invitait par l’intermédiaire de Gérard Cooreman à entrer au Gouvernement de Broqueville en tant que ministre de l’Agriculture et des Travaux Publics. Le 11 novembre 1912, il devint ministre des Chemins de Fer et, le 28 février 1914, il se vit confier le portefeuille important des Finances, qu’il garda jusqu’au 3 novembre 1918 sous les Gouvernements dirigés par de Broqueville et par Cooreman. Le 21 novembre 1918, il fut nommé ministre d’Etat.

En tant que ministre de l’Agriculture, il fut confronté à l’augmentation générale des prix qui, bien qu’elle revêtît un caractère international, offrait un prétexte à l’opposition socialiste pour préconiser des importations massives et à bon marché de produits agricoles. Le ministre put toutefois démontrer qu’en comparaison avec les autres pays, la politique d’importation belge ne pouvait absolument pas être qualifiée de protectionniste. Il manifesta, d’autre part, un intérêt particulier pour l’enseignement agricole, pour lequel il recommandait l’utilisation de la langue populaire. En 1912, il décida la flamandisation de l’Ecole d’Horticulture de Gand – laquelle fut effectivement réalisée en 1916 – et se proposa d’étendre cette réforme le plus rapidement possible à l’enseignement supérieur agricole. En sa qualité de ministre des Travaux Publics, il se dépensa pour l’extension du port d’Anvers.

En février 1914, il reprit à Michel Levie le portefeuille des Finances, ce qui, au vu des événements ultérieurs, fut un fait marquant de sa vie.

Dans les premiers jours de la guerre, il prit des dispositions à Anvers en vue d’acheminer en Angleterre une partie des réserves d’or de la Banque Nationale. Mais les deux contre-torpilleurs que l’amirauté anglaise avait envoyés à la rencontre du navire belge attendirent en vain plusieurs heures dans le brouillard à l’embouchure de l’Escaut. Ce n’est qu’après de longues heures d’incertitude et d’inquiétude, de plus en plus vives, que l’ambassadeur anglais, Edward Grey, apporta le télégramme réconfortant qui annonçait l’arrivée du précieux trésor à Londres.

Van de Vyvere assumait alors pendant quatre ans la responsabilité des finances belges à Sainte-Adresse, près du Havre, partageant les tensions d’un groupe de personnes éloignées de leur patrie. Au début de 1916, il se rallia à l’entrée au Gouvernement de ministres libéraux et socialistes, ce qui donnait à la Belgique son premier gouvernement tripartite. Plus tard, dans des circonstances normales, il se montrera généralement opposé à ce type de formule.

En plus de l’organisation d’un nouveau régime budgétaire fonctionnant sans l’intervention du Parlement qui, avant la guerre, votait les budgets, ni de la Cour des Comptes, qui en contrôlait l’exécution, le ministre des Finances dut faire face à la tâche extrêmement difficile du financement des dépenses publiques et de l’aide alimentaire à la population des territoires occupés. Cette aide fut organisée en Belgique à l’initiative de Dannie Heineman, israélite américain né en Allemagne et président-directeur de la Sofina. Ernest Solvay, Emile Francqui et d’autres personnalités de premier plan se joignaient à cette action. L’industriel américain, Herbert Hoover, créa à Londres la Commission for Relief in Belgium. Ce ne fut qu’après de pénibles négociations, qui duraient plusieurs semaines et auxquelles le ministre van de Vyvere participa très activement, que le Gouvernement belge parvint à surmonter l’opposition de Lloyd George, chancelier de l’Echiquier, ainsi que celle de Winston Churchill, et obtint que des crédits des pays alliées puissent être consacrés au financement de l’aide alimentaire.

A la fin de 1915, le ministre van de Vyvere entreprit un long voyage de prospection aux Etats-Unis, en vue de sonder les possibilités offertes par le marché des capitaux américains. Il y fit la connaissance de Charles Gates Dawes, qui allait jouer un rôle important sur le plan international et occuper une place très en vue sur la scène politique et dans les milieux d’affaires américains. Une solide amitié naît entre ces deux hommes et elle durera jusqu’à la mort de Dawes en 1952.

Van de Vyvere défendait les intérêts belges aux conférences économiques interalliées ; il fit usage, pour ce faire, des résultats d’une enquête économique menée à son initiative par Emile Waxweiler et, après la mort malheureuse de ce dernier à Londres le 26 juin 1916, par Maurice Frère et Max-Léo Gérard. C’est van de Vyvere qui, au nom du Gouvernement belge, rejettait le plan d’union douanière belge avec la Belgique que proposait le ministre français Clémentel, car il signifiait en fait l’annexion économique de notre pays à la France.

Avant 1914, la politique économique belge avait été basée sur un traité à tarifs avec l’Allemagne et jusqu’à la guerre ce régime avait valu à la Belgique une grande stabilité. Ainsi que le vicomte van de Vyvere le déclara en 1948, en jetant un regard rétrospectif sur cette période, il fallait, en face de l’intransigeance française, quelque courage de la part du Gouvernement belge pour rester, avant 1914, hors du Zollverein. Les difficultés tarifaires avec la France se poursuivirent après la guerre : le 27 mars 1924, la Chambre belge des Représentants repoussa un accord commercial avec ce pays, que le Parlement français avait déjà approuvé. Pour des motifs de politique intérieure, van de Vyvere émit alors un vote favorable. Par la suite, les Gouvernements des deux pays parvinrent toutefois à un modus vivendi, qui ne fut remplacé par un statut définitif qu’en 1928 ; Au cours du débat qui eut lieu à cette occasion à la Chambre en mars 1928, van de Vyvere déclara que le traité tarifaire n’était en fait pas satisfaisant pour la Belgique ; il ne put s’y rallier qu’en tenant compte du nouvel esprit international qui semblait se manifester à la Conférence de Genève, mais qui est apparu plus tard comme très illusoire.

En tant que ministre des Finances, il réfléchissait pendant la guerre aux mesures monétaires qui devraient être prises à l’issue des hostilités. Lorsqu’une partie du territoire fut libérée, le Gouvernement se trouva devant le choix suivant : fournir des vivres à la population contre paiement en marks, qui constituaient souvent le seul avoir monétaire de la population et de différentes institutions, ou à titre entièrement gracieux. Après de longues concentrations avec les alliés, il décida de prendre des mesures pour rétablir la confiance de la population dans la seule monnaie qu’elle possédait au moment où l’offensive militaire continuait. La première mesure projetée consistait dans l’émission d’un emprunt auquel le public pourrait souscrire à concurrence de 75 p.c. en marks et de 25 p.c. en monnaie belge. Une seconde mesure concernait le dépôt de tous les marks. L’arrêté prévoyait que le déposant pourrait recevoir un acompte maximum de 1.000 marks, soit 1.250 francs, tandis que le surplus serait liquidé après paiement par l’Allemagne ; entretemps, des avances pourraient être faites au fur et à mesure de la reprise de l’économie. Aucune de ces mesures n’avait encore été mise à exécution au moment où van de Vyvere quitta le Gouvernement. Lorsque, par la suite, la conversion des marks prit une tournure très désastreuse, en raison de la fraude considérable et de l’écroulement de l’illusion relative aux remboursements allemands, il évita toujours scrupuleusement de jeter un blâme sur la politique de ses successeurs.

Durant sa vie estudiantine à Louvain, van de Vyvere avait participé très activement à des initiatives qui visaient le réveil du peuple flamand. Cet abcès qu’était la question flamande éclata définitivement au cours de la guerre. L’Allemagne accordait, aux Flamands des territoires occupés, l’unilinguisme de l’Université de l’Etat à Gand. Les dirigeants flamands cherchaient vainement à obtenir du Gouvernement de Sainte-Adresse un engagement solennel de satisfaire après la guerre aux revendications flamandes. Le mécontentement croissait parmi les soldats flamands du front, principalement chez les jeunes intellectuels. Le ministre van de Vyvere entreprit très activement la défense des intérêts des soldats flamands du front et lutta pour une application stricte de la loi du 2 juillet 1913 sur l’utilisation des langues dans l’armée. Il proposait la formation de régiments flamands, mais le Gouvernement, sous la conduite du premier ministre Charles de Broqueville, s’opposait à l’introduction de cette réforme sous le feu de l’ennemi.

Après la réunion historique qui se tenait le 14 novembre 1918 à Loppem, sous la présidence du Roi Albert, van de Vyvere ne participait plus au Gouvernement, dont la composition était principalement dominée par un mouvement revanchard qui rassemblait les aspirants au pouvoir des territoires occupés.

Le 24 novembre 1918, il écrivait à sa femme : « J’ai donc changé mes fonctions de Ministre contre le titre de Ministre d’Etat. Mon départ du Gouvernement était prévu. Le titre  que je garde est une petite douceur que le Roi et le nouveau Gouvernement ont bien voulu m’accorder. J’ai eu l’occasion de rentrer comme Ministre de l’Agriculture, mais je n’ai pas cru pouvoir l’accepter. La constitution du nouveau cabinet s’est faite dans des conditions absolument anormales et je me serais aliéné définitivement la confiance des catholiques flamandes si j’étais entré dans la combinaison ». Il s’installa de nouveau comma avocat à Gand.

Au Parlement, van de Vyvere prit de plus en plus la place de Charles Woeste – qui devait d’ailleurs décéder en avril 1922 – en tant que chef du parti catholique. Son intervention la plus remarquable à la Chambre, en 1919, fut l’interpellation des trois « Van » qu’il fit avec Frans Van Cauwelaert et Alfons Van de Perre « sur les pratiques administratives en matière linguistique et sur les intentions du gouvernement au sujet de l’exécution des promesses d’égalité linguistique contenues dans le discours du Trône ». A cette occasion, il se fit connaître comme un défenseur très pondéré, quasi cérébral, des intérêts flamands, défenseur qui jamais ne se laissait entraîner dans des déclarations passionnelles. Il déclara notamment que « l’individualité flamande devait pouvoir s’épanouir dans toute son originalité, s’élever sans entraves à la haute culture et faire l’apport de ses vieilles réserves d’énergie et de ses nouvelles conquêtes intellectuelles à la vie nationale commune ». Plus concrètement, il plaida la flamandisation de l’Université de Gand, pour laquelle une proposition de loi avait déjà été déposée avant la guerre, et une décentralisation des services administratifs, avec attribution de régimes homogènes ; cette décentralisation devait aussi être appliquée dans l’armée. Il n’était pas partisan d’un système de bilinguisme complet, qu’il considérait comme difficilement acceptable pour les Wallons. Il lui semblait évident que les institutions nationales communes devaient être bilingues, mais à la place du bilinguisme obligatoire de l’ensemble du personnel, il proposait une spécialisation des services. Cette interpellation constitua le début sur laquelle nous reviendrons encore.

Au début des années vingt, van de Vyvere s’occupa activement de la préparation de la flamandisation de l’Université de Gand et de l’organisation de cours en néerlandais à l’Université catholique de Louvain. C’est lui qui, en 1923, mit au point la rédaction finale de la « loi-Nolf » sur l’Université de Gand en vue de la rendre acceptable pour ses amis politiques. Contrairement au projet initial de P. Nolf, la loi consacrait explicitement le principe de la flamandisation de l’Université. En fait, elle mit la base d’un dédoublement de l’Université : dans la section flamande, les deux tiers des cours furent désormais donnés en flamand et un tiers en français ; dans la section francophone, le régime opposé fut introduit. L’aile radicale du mouvement flamand considérait la loi-Nolf comme une concession inadmissible, mais van de Vyvere s’y rallia en la considérant comme une étape d’une stratégie à moyen terme. Pendant toute cette période, il apparaissait en fait comme le diplomate du mouvement flamand. Il ne menaçait pas l’adversaire, mais s’efforçait de la convaincre. Il a gagné ainsi la compréhension de nombreux francophones pour les revendications flamandes.

Au printemps de 1920, un représentant des milieux financiers anversois, qui venaient de fonder la S.A. Pétrofina, vint le trouver à Gand pour rechercher une solution aux très graves problèmes que connaissait la jeune société. Celle-ci avait été créée dans le but d’acquérir des participations dans les sociétés pétrolières roumaines, qui avaient appartenu avant la guerre au groupe pétrolier allemand Erdöl A.G. Une commission franco-anglaise cherchait cependant à mettre ces anciennes participations allemandes sous séquestre, à titre de réparation pour les dommages dont les entreprises alliées avaient eu à souffrir durant la guerre. Pour sa part, la société française Compagnie Industrielle des Pétroles s’efforçait de renforcer son emprise sur l’industrie pétrolière roumaine. Léon Wenger, représentant de l’Office national du pétrole, défendait les intérêts français. Van de Vyvere réussit devant la juridiction suprême à Bucarest à faire entériner l’achat de ces actions pétrolières par Pétrofina et ensuite prit très activement part à la préparation d’un règlement avec la Compagnie Industrielle des Pétroles.

Alors qu’il manifestait un réel intérêt pour les affaires et qu’il avait formé d’autres projets, il acceptait de nouveau en novembre 1920, à la demande du Roi, un portefeuille ministériel – celui des Affaires Economiques cette fois – dans un gouvernement qui fut d’abord dirigé par Henry Carton de Wiart et ensuite par Georges Theunis. Il restait ministre jusqu’en septembre 1924. Ce poste lui valut la réputation méritée de « restaurateur de la Flandre dévastée ». Le ministre ne limitait pas ses efforts à la reconstruction d’habitations, mais il manifestait également un grand intérêt – et c’est ce qui caractérisait son programme – pour la restauration des églises, des établissements scolaires et autres bâtiments publics. C’est notamment en grande partie à son initiative que l’on doit la reconstruction d’Ypres, où il veillait avec opiniâtreté à ce que les monuments historiques retrouvent leur splendeur d’autrefois et ne soient pas sacrifiés à certains projets de modernisation.

Il déclarait à ce sujet, le 6 juillet 1922, au Sénat : « Les monuments d’Ypres représentent pour nous, West-Flamands, des souvenirs sacrés, que ni le fer, ni le feu ne doivent effacer. En les restaurant avec une pieuse vénération, nous conserverons toutes les parties qui ont échappé à la destruction, nous recueillerons avec soin les pierres et les débris, nous reconstituerons les ornements et les sculptures, dont les fragments épars perdaient bien vite toute beauté. Nous saurons, comme les Français à Reims, rendre aux monuments leur vie d’autrefois tout en leur gardant le caractère impressionnant de témoins de la grande guerre des nations. Ces ruines redeviendront vivantes, parce qu’elles pourront être affectées de nouveau à leur destination ancienne. C’est là la vrai conception de la restauration ».

Son autorité au sein du cabinet Theunis était unanimement reconnue, à tel point que certains le considéraient comme le Premier Ministre de fait. Lorsque à la fin de février 1924 le deuxième Gouvernement Theunis avait démissionné à la suite du rejet de l’accord commercial avec la France, c’était lui qui forgeait le troisième cabinet. Lui-même souhaitait depuis quelque temps quitter l’équipe gouvernementale. Le 10 septembre il céda son portefeuille à Romain Moyersoen. Quelques jours plus tard, il fut nommé vice-président de la Société Nationale du Crédit à l’Industrie.

Après la démission du troisième Gouvernement Georges Theunis, le 5 avril 1925, date des élections parlementaires qui procuraient une victoire éclatante aux socialistes, au détriment principalement du parti libéral, une crise gouvernementale relativement longue s’ouvrait ; à la demande du Roi, et en vue de rétablir l’entente au sein du parti catholique, van de Vyvere y mit fin par la formation d’un gouvernement homogène catholique, complété par quelques extra-parlementaires. Il se présenta le 13 mai 1925 devant le parlement mais fut acculé, comme on s’y attendait, le 20 mai déjà, à démissionner. Son initiative avait néanmoins le mérite de rétablir l’unité du parti catholique et d’ouvrir la voie à un gouvernement catholique-socialiste qui fut constitué finalement sous la conduite de Prosper Poullet, le 10 juin 1925, malgré une tentative ultime du libéral Adolphe Max. Van de Vyvere lui-même accepta le portefeuille de l’Agriculture.

Pendant l’interrègne, il avait poursuivi des négociations bilatérales avec le Gouvernement américain au sujet du règlement des dettes de guerre et d’après-guerre de la Belgique vis-à-vis des Etats-Unis. Le traité de Versailles avait mis les dettes de guerre vis-à-vis des Etats-Unis, de l’Angleterre et de la France à charge de l’Allemagne, mais le Congrès Américain n’avait jamais ratifié ce traité. Sous l’impulsion de van de Vyvere, les négociations aboutirent, le 18 août 1925, à la conclusion d’un accord satisfaisant pour la Belgique, qui fut approuvé quelques mois plus tard par le parlement (loi du 2 mars 1926).

Etant donné son expérience dans le domaine des négociations financières internationales, le ministre van de Vyvere fut directement mêlé à l’exécution du plan de stabilisation monétaire, élaboré par Albert-Edouard Janssen, ministre des Finances. Au cours de la première moitié des années vingt, van de Vyvere fut témoin de la dépréciation du cours de change du franc belge sur les marchés et il réalisa qu’un retour à la parité or de 1914, qu’on avait espéré longtemps au sein du Gouvernement et de la Banque Nationale, s’avérait de plus en plus objectif irréaliste. Il fut un des premiers parmi les personnalités officielles – c’était en novembre 1924 – à mettre en doute l’opportunité d’une politique visant à l’appréciation du cours du franc ; il demandait au vice-gouverneur de la Banque Nationale s’il ne convenait pas de stabiliser le franc sur la base du cours de change de ce moment. En 1925, cette attitude réaliste s’imposa finalement aux autorités et elle inspira notamment la tentative de stabilisation entreprise par A.-E. Janssen. Le plan de stabilisation comportait l’émission d’un emprunt extérieur à long terme. Van de Vyvere faisait partie de la délégation belge qui, à cette fin, entama des négociations avec les banquiers étrangers à Londres, le 5 octobre 1925. Ceux-ci réservaient un accueil franchement favorable aux projets belges, le moment paraissant opportun pour dissocier le franc belge du franc français. Mais une dizaine de jours plus tard, lors d’une deuxième réunion à Londres, les banquiers américains soumirent l’octroi d’un prêt à long terme, au grand étonnement de la délégation belge, à une série de conditions qui ne pouvaient être remplies dans l’immédiat. Les experts américains avaient constaté notamment, à partir des données fournies par Janssen, que l’assainissement des finances publiques belges était moins avancé que ne l’avait fait apparaître Georges Theunis lors des négociations concernant les emprunts antérieurs. Contrairement à une opinion largement répandue en Belgique, il n’y avait donc plus, dès la mi-octobre 1925, d’accord de principe des banques américaines pour l’émission d’un emprunt de stabilisation à long terme. Seuls des crédits provisoires à court terme furent octroyés ; à la fin de novembre ils furent doublés après des négociations très longues et ardues à New York, auxquelles van de Vyvere participait activement. Les pourparlers au sujet de l’emprunt de stabilisation à long terme ne sortirent plus de l’impasse, d’autant plus qu’en Belgique une agitation politique très vive s’était déclenchée contre le Gouvernement et que le monde des affaires, devenu très pessimiste concernant les perspectives du cours de change du franc, exportait des capitaux, en modifiant notamment les termes de paiement des importations et des exportations. Il en résultait, tout naturellement, un rétrécissement des liquidités sur le marché monétaire intérieur, lequel entravait de plus en plus le financement du Trésor. Les banques belges ont été accusées dans ces circonstances de boycotter le Trésor, mais elles n’étaient en fait qu’un maillon technique d’une manœuvre qu’elles ne contrôlaient pas. Une lettre de banquiers américains datée du 16 mars 1926 fait toutefois état de démarches entreprises par Emile Francqui, le gouverneur de la principale banque belge, en vue de mettre le Gouvernement échec et mat.

La tentative de stabilisation d’Albelge, en vue de mettre le Gouvernement par un échec retentissant. Les grandes lignes de son plan furent reprises par la suite par Emile Francqui, moyennant une consolidation pratiquement forcée de la dette flottante et une dépréciation nettement plus forte du franc. Ne pouvant plus se railler à la politique suivie par A.-E. Janssen, van de Vyvere quitta le Gouvernement le 23 février 1926. Selon le compte rendu d’un échange de vues qu’il avait eu avec Paul van Zeeland, quinze jours plus tôt, il considérait l’attitude du Ministre des Finances comme trop candide ; Janssen avait, en effet, dévoilé des aspects de la situation belge que, quelques mois plus tôt, Theunis avait habilement dissimulés aux prêteurs américains.

Exactement un mois avant la démission de van de Vyvere, son grand amai, le cardinal Mercier, s’était éteint. Il serait sans doute hasardeux de mettre un lien entre les deux événements, mais on ne peut oublier qu’en octobre 1923 le cardinal avait insisté pour que van de Vyvere reste au gouvernement pour y faire respecter les intérêts catholques ; « si j’étais votre confesseur, écrivit-il, je vous ferais un devoir de conscience d’y demeurer ». Pourtant, leurs points de vues ne coïncidaient pas toujours exactement. C’est ainsi que Mercier était un adversaire notoire de la flamandisation de l’Université de Gand. Lorsqu’il s’était rendu compte du caractère inéluctable de cette réforme et craignant une affluence massive des étudiants catholiques flamands à l’Université de Gand, le cardinal envisagea la création d’une université catholique flamande à Anvers. Il s’en ouvrit à van de Vyvere et lui proposa de devenir le premier recteur de la nouvelle université. Finalement, sous la pression des autorités de Louvain, on adopta une autre solution en dédoublant les cours à Louvain. A l’invitation de Mgr Sencie, un ancien camarade d’étude et un de ses amis les plus fidèles, van de Vyvere participa à l’organisation, le 29 octobre 1924, des cours flamands à Louvain et à la solution des problèmes financiers y afférents. Jusqu’à sa mort, il est resté membre du Conseil d’Administration de l’Université.

Après février 1926, van de Vyvere n’est plus jamais entré comme ministre dans une équipe gouvernementale. Il continuait à remplir son rôle de chef du groupe catholique à la Chambre, s’efforçant notamment d’aplanir tout dissentiment au sein du parti. En 1927, il fut encore rapporteur d’un projet de loi approuvant la convention conclue le 9 mai 1926 entre l’Etat et la ville d’Anvers pour l’extension des installations maritimes de celle-ci. Son intérêt pour ce sujet datait d’avant la première guerre mondiale. Il s’intéressait aussi aux aspects internationaux de la navigation maritime. En 1925, il devint le premier président de l’Association permanente des Congrès de Navigation ; en cette qualité il dirigea les congrès internationaux du Caire, de Venise, Bruxelles, Lisbonne et Rome. L’Association s’occupait de la promotion de la navigation maritime et de l’aménagement des voies d’eau, principalement sur le plan technique. Jusqu’en 1956, il est demeuré membre de la Commission permanente de l’Association qui, en témoignage de reconnaissance, lui conférait le titre de président honoraire.

Il ne comparut à la tribune du Parlement que pour apporter une contribution concrète et constructive aux débats, en faisant preuve de connaissances très étendues. Ses interventions ne furent jamais teintées d’agressivité ni de critiques stériles. En février 1930 eut lieu à la Chambre le grand débat sur le projet de loi du 10 décembre 1929 relatif à la flamandisation de l’Université de Gand. Il faut se rappeler que la loi Nolf du 31 juillet 1923 avait mis la base d’un dédoublement de l’Université, une partie des cours se donnant en néerlandais et l’autre partie en français, tandis que le néerlandais fut introduit comme langue administrative de l’Université. Mais aucun des partis ne pouvait acquiescer à cette solution. Quant au régime des langues à l’armée, une loi du 7 novembre 1928, qui n’était pas encore entrée en vigueur, stipulait que l’instruction des soldats se ferait entièrement dans la langue maternelle, mais que l’unicité de la langue de commandement serait préservée. Les soldats flamands continuèrent donc à s’entendre adresser les commandes en français, tandis que la composition homogène des unités au point de vue linguistique fut limitée à la dimension d’une compagnie. Les milieux flamands continuèrent à juste titre à se révolter contre ces situations.

C’est contre cette toile de fond qu’il faut situer le débat au cours duquel van de Vyvere tint le 26 février un des discours les plus remarquables de sa carrière parlementaire. Selon ses propres dires, il parlait un peu ex impromptu, en guise de réplique à un exposé du Premier Ministre Jaspar. Il rompit une lance en faveur d’un régime plus équitable pour les Flamands en matière d’utilisation des langues en justice, dans l’administration et à l’armée, après quoi il s’étendit plus en détail sur la flamandisation de l’enseignement. Tout en défendant le maintien de l’étude classique du français dans les écoles flamandes, il s’opposa à la francisation des esprits dont sa génération aussi avait été la victime. Se référant manifestement à son expérience personnelle et esquissant ainsi une image de sa propre situation, il déclarait : « Ceux de ma génération savent que, du jour où ils commençaient leur instruction moyenne jusqu’au jour où ils sortaient de l’Université, tous les jours, en même temps que notre esprit s’ouvrait à l’initiation scientifique, s’exerçait sur nous cette fascination d’un autre milieu, cet appel constant d’une élite étrangère au peuple flamand, cette perspective de l’adoption d’une culture exclusivement française, qui semblait presque une condition de notre plein développement scientifique et intellectuel. Ceux de ma génération ont tous senti l’attraction et la séduction de ces milieux » ; et à Camille Huysmans qui  l’interrompit en disant : « c’était l’appel de l’arrivisme », il répondit : « Peut-être hélas ! Mais personne n’a résisté complètement à cet appel. Il nous a fallu les plus grands efforts pour nous arracher à cet envoûtement, pour rester fidèles à nos origines, pour garder la volonté de créer, après nous, une nouvelle situation, qui ne permette plus de retirer toutes les élites de notre peuple et de les isoler… Voilà ce que nous ne voulons pas se laisser perpétuer… ».

Le 15 janvier 1931, il démissionna du Parlement dans des circonstances sur lesquelles nous ne pouvons nous attarder ici.

En 1929, le Roi lui avait conféré le titre de vicomte, transmissible au fils aîné. Il choisit comme devise des mots empruntes à l’Enéide de Virgile : Officio nec te certasse priorem poeniteat (puisse tu ne regretter jamais d’avoir combattu en première ligne par esprit de devoir).

Bien qu’il continuât de s’intéresser à la politique, ses activités dans le domaine des affaires prenaient de plus en plus d’ampleur. Après un premier refus, Dannie Heineman parvint à le persuader d’entrer en 1928 au groupe de la Sofina – dont il assumera la présidence de 1934 à 1954 – et, par la famille Gillès de Pélichy, qui joua un rôle important dans la vie politique de son propre arrondissement électoral, il entra à la Caisse Privée. Il revint à la Purfina, une filiale de la Pétrofina, avec laquelle il était entré en contact en 1920 par le truchement des milieux financiers anversois. Il était également membre des Conseils de la Caisse Générale d’Epargne et de Retraite et assumait jusqu’en 1938 les fonctions de gouverneur de la Société Nationale de Crédit à l’Industrie. Cette fonction lui a permis de jouer un rôle important lorsqu’il a fallu aider les entreprises et les institutions durant la dépression économique. Pendant cette période difficile il prenait également la défense des dirigeants du Boerenbond, victimes de critiques acerbes.

En mai 1940, il partait pour le Portugal, passant par la France et l’Espagne. Il rejetta l’invitation des Allemands, qui lui demandaient de rentrer en Belgique. A propos de l’arrêt des hostilités par la Belgique et la France, il écrivit en juillet 1940 à son ami américain, Charles Gates Dawes : « The only thing which matters are the consequences. Those are already visible. It is the entire collapse of courage and hope… I must confess that I am not able to reconcile me with the current views, and that I feel myself almost absolutely isolated and lonely ». On y trouve la solitude d’un esprit clairvoyant qui parvint à s’élever au-dessus des épreuves de l’instant pour conserver l’espoir d’un avenir meilleur.

A Lisbonne, Robert Hallet avait recours à ses services. En novembre 1940, il partait pour New York, où il travaillait pour la Sofina et le groupe Hallet, tout en mettant son subtil esprit juridique au service du gouvernement afin d’aider les sociétés belges à l’étranger à préserver leurs intérêts.

Répondant à une demande pressante, il jouait, après la guerre, un rôle décisif dans la réhabilitation juridique et financière de la Pétrofina, qui allait devenir la plus grande société belge. Il en assumait la présidence jusqu’à sa mort en 1961. La Compagnie d’Anvers, dont il avait accepté la présidence, lui devait également beaucoup durant ces années. Au travers de toutes ces activités, il a rendu d’éminents services à l’économie belge. A aucun moment il n’oubliait qu’il avait été Ministre des Finances et en affaires aussi bien que dans la vie politique, il restait un homme d’une probité sans faille.

En sa qualité de Ministre d’Etat, il fut associé, respectivement en 1950 et 1960, à des pourparlers relatifs à la crise royale et aux événements précédant l’indépendance du Congo.

La personne d’Aloys van de Vyvere se caractérise par la dissociation de la vie professionnelle, au sens large du terme, et de l’ »autre » vie qu’il parvint à réaliser. Son corps robuste abritait un esprit hautement raffiné, qui savait se dégager des tracas quotidiens pour pénétrer, avec une riche sensibilité, dans le domaine de la connaissance et de la culture abstraites, sans oublier celui de la vie religieuse.

Patricien flamand, c’est ainsi que l’appelait Karel Van de Woestijne en 1925. C’est peut-être la qualification la plus exacte qui a pu être donnée d’Aloys van de Vyvere.

En février 1958, Dannie Heineman termine une des lettres qu’il écrit d’Amérique à son ami belge et dans laquelle il parle de la rapidité des progrès techniques, en constatent avec regret : « Vous et moi, nous sommes nés trop tôt ». Etaient-ils vraiment nés trop tôt ? Nous ne le croyons pas. Leur époque leur a offert des chances que nos structures d’aujourd’hui ne leur auraient peut-être plus accordées.

 

Valéry Janssens – Biographie Nationale.