WOESTE, Comte Charles.
Né à Bruxelles, le 26 février 1837, y décédé le 5 avril 1922.
Ministre d'État.
Ministre de la Justice, 1884.
Membre de la Chambre des Représentants.
Bâtonnier de l'Ordre des Avocats à la Cour de Cassation.
Grand Croix de l'Ordre de Léopold, Croix Civique de 1e Classe, Médaille Commémorative du Règne de Léopold II.
Grand Croix de l'Ordre Pontificial de Saint-Grégoire le Grand, de l'Ordre Pontificial du Saint-Sépulcre, de l'Orde Pontificial du Pie et de l'Ordre Pontificial du Christ, Croix Pro Ecclesia et Pontifice.
WOESTE,
Charles, Comte, homme politique, avocat, publiciste, né à Bruxelles, le 26 février
1837, y décédé le 5 avril 1922.
Son
père, Edouard, né à Elberfeld (Prusse Rhénane), le 27 mars 1796, avait venu
s’établir à Bruxelles, où il reçut la naturalisation par arrêté royal du
15 janvier 1841. Consul de Prusse de 1843 à 1853, il avait fondé une maison de
banque, qui périclita en 1848. Il avait épousé, le 24 septembre 1834,
Constance Vauthier, fille d’Antoine, d’origine lorraine, fixé à Bruxelles
au début du siècle et receveur de
En
octobre 1847, Charles Woeste entra à l’Athénée royal de Bruxelles. Edmond
Picard, Charles Graux, Emile de Mot, Xavier Olin, Pierre Van Humbeeck y furent
ses condisciples. Il fit ses études supérieures à l’Université Libre et en
sortit en 1858 avec le titre de docteur en droit. Inscrit au Barreau de
Bruxelles, il entra en stage chez maître Duvigneaud. Sous l’influence de sa mère,
de Eulalie Morin, une amie de la famille, et du Père Delcourt, il s’était détaché
du protestantisme et converti au catholicisme en août 1853.
Le
4 janvier 1866, il épousa Marie Greindl, fille du lieutenant-général baron
Greindl, ministre de la guerre dans le cabinet De Decker en 1855.
Il
ne tarda pas à se lancer dans la politique active. Il collabora au Journal
de Bruxelles et à
L’année
suivante, il intervint pour la première fois sur le terrain électoral ;
il rédigea notamment un manifeste aux électeurs de Bruges.
A
l’assemblée générale du IIe congrès de Malines, il prononça un
discours sur les ordres religieux. Le 1er janvier 1865 parut le
premier numéro de
La
victoire de son parti aux élections de 1870 lui donna l’occasion de suivre de
près les tractations préliminaires à la constitution d’un ministère. En
1871, il échoua devant le comité de l’association d’Alost, mais, trois ans
plus tard, le 9 juin 1874, il fut élu député de cette circonscription. Il
avait, depuis quatre ans, pris une part active à la politique et s’était
montré dès l’abord adversaire de toute augmentation des charges militaires.
Ses premières interventions dans l’arène parlementaire furent remarquées.
Excellent orateur, esprit combatif, dialecticien remarquable, il acquit
rapidement par la charité de ses exposés une grande notoriété.
L’avènement
au pouvoir en 1878 du gouvernement Frère-Orban allait lui donner l’occasion
d’acquérir une influence considérable dans son parti. Adversaire acharné
des mesures du cabinet libéral, surtout en matière scolaire, il mena pendant
six ans une lutte tenace contre le gouvernement. Il défendit les vues de la
droite en matière d’enseignement tout en n’approuvant pas toujours les
mesures de rigueur de l’Episcopat.
Il
prit une part importante à la création des écoles libres et il prépara
minutieusement la campagne électorale de juin 1884, où triompha son parti. Il
joua un rôle de premier plan dans la constitution du cabinet Malou, dans lequel
il obtint le 14 juin, le portefeuille de la justice.
Il
s’empressa de démolir l’œuvre de son prédécesseur, modifiant le
personnel administratif, transformant la jurisprudence en matière de culte et
de bienfaisance.
Dès
avril 1884, il avait préparé un projet de loi en matière scolaire :
c’est ainsi que, au conseil des ministres, il présenta avec Victor Jacobs un
projet qui est le contre-pied de la loi libérale. L’école publique cessait
d’être neutre ; la décentralisation était la base du système. La
rapidité des mesures prises et la gravité des décisions intervenues agitèrent
l’opinion libérale. Le 10 août et le 31 août, des cortèges parcoururent
les rues de Bruxelles. Le 7 septembre, les catholiques répondirent par une
manifestation au cours de laquelle de graves incidents se produisirent. Aux élections
communales d’octobre, un revirement se manifesta dans les grandes villes. Le
22 octobre, le roi demanda la démission de Jacobs et de Woeste et des
amendements à la loi scolaire. Le chef du cabinet Malou se retira et Beernaert
lui succéda.
Woeste
conserva toujours du dépit d’avoir été ainsi écarté. (« Appeler un
parti au pouvoir et lui interdire de s’y faire représenter par ses chefs »,
écrira-t-il dans ses mémoires.) Dès lors, il exerça une tutelle vigilante
sur le cabinet. Il disposait d’un puissant organisme pour faire triompher ses
idées : appelé à remplacer Beernaert à la présidence de
Les
principales difficultés que le nouveau cabinet rencontra furent d’ordre
social. Woeste voulait appliquer des remèdes moraux et religieux à la détresse
des masses ouvrières. L’intervention de l’état était dangereuse à ses
yeux : « J’ai peur de l’état et je hais le Césarisme ».
Dans la création par les catholiques et par les patrons de cercles d’agréments
et de prévoyance pour les ouvriers, il voyait le moyen idéal de calmer les
revendications des humbles.
Son
attitude ne varia pas à cet égard et il ne proposa pas de réforme de la
condition du prolétariat. Son respect de la tradition et le culte de sa classe
lui masquaient la gravité de la situation. Moins avisé que le chef du cabinet
de l’époque, il apporta aux projets de lois gouvernementaux des amendements
qui énervèrent son action.
S’il
se rallia, en 1887, au projet de fortifications de
Une
cause lui tint surtout à cœur, celle de l’enseignement libre. Il proposa
maintes mesures en sa faveur, tandis qu’il réclama des décisions lésant de
l’enseignement public. En 1890, lors de la discussion de la loi sur
l’enseignement supérieur, il obtint la suppression des écoles normales des
humanités et le jury d’examen pour les facultés libres. Les intérêts
confessionnels ne le laissèrent jamais indifférent : c’est ainsi
qu’il défendit avec vigueur la loi sur la bienfaisance et n’approuva pas la
politique d’apaisement de Beernaert.
Conservateur,
Woeste ne voulut à aucun prix d’une extension du droit de suffrage. Sur cette
question, il fut irréductible et il combattit la révision constitutionnelle et
le suffrage universel. Les divergences avec Beernaert s’accentuèrent lorsque
celui-ci manifesta des sympathies pour la révision et prit en considération le
projet de Paul Janson. Beernaert ne tarda pas alors à faire connaître les
quatre points de son programme : l’adoption d’un suffrage étendu basé
sur l’occupation, la représentation des minorités, la réforme du Sénat, le
referendum royal. Le projet de referendum excita particulièrement l’ire de
Woeste. Le 7 février 1892, à Bruges, il s’écria : « Les théories
napoléoniennes ne germeront jamais en Belgique ». Mais Woeste ne put que
freiner le mouvement revisionniste. Il chercha une transaction avec les
doctrines par l’extension du régime communal aux élections législatives ou
bien par la réduction du cens et le capacitariat. Son attitude irrita
l’opposition extra-parlementaire. Le 13 avril 1893, à son domicile de la rue
de Naples, des carreaux furent brisés. Le lendemain, rue de Namur, un individu
lui lança un coup de poing. Il dut finalement se résigner à accepter le vote
plural.
Chef
de la droite parlementaire, Woeste fut aussi chef de parti. Il présida avec maîtrise
Les
élections du 14 octobre 1893 firent entrer à
Fidèle
à son idéal, il rechercha toujours la suprématie de l’enseignement libre.
En 1895, il fut rapporteur de la loi scolaire Schollaert et s’opposa à
Beernaert et aux membres de la droite prêts à faire des concessions. Il
voulait maintenir à toute force l’unité du parti : il refusa
l’autonomie des associations ouvrières en tant que cercles politiques et il
n’entendit pas que
Son
influence sur le gouvernement resta considérable ; il provoqua la chute de
Beernaert, le 16 mars 1894, dans un débat sur la représentation
proportionnelle ; le cabinet de Burlet dut compter avec lui et il intervint
activement lors de la constitution du cabinet de Smet de Naeyer en 1896.
Ses
positions en matière militaire et électorale ne varièrent guère : pas
de service personnel, pas d’extension du droit de suffrage. En 1896, il força
le général Brassine à démissionner ; l’année suivante, les efforts
de Brialmont et un discours royal ne l’émurent pas.
Il
ne voulait pas de représentation proportionnelle et il proposa plutôt la
division des grands arrondissements. Après la retraite de de Smet de Naeyer, la
représentation proportionnelle fut votée, malgré l’énergie que Woeste mit
à la combattre.
Vis-à-vis
des problèmes sociaux, il continua à défendre les principes de liberté et se
sépara nettement de la démocratie chrétienne, qu’il s’agît de pensions
ouvrières ou de limitation des heures de travail.
Adversaire
obstiné de l’extension de la puissance militaire, car il craignait
l’influence des casernes pour la moralité de la jeunesse et il avait
confiance dans la garantie des puissances, Woeste n’eut pas toujours avec la
cour d’excellentes relations. Le souvenir de 1884 ne s’était pas estompé.
Mais il apporta au roi l’appui de son immense crédit auprès de la droite
dans la question congolaise. Dès 1885, il admit la souveraineté de Léopold II
sur l’Etat Indépendant. En 1890, il fut favorable au prêt de 25 millions au
roi. En 1894, lors des conventions De Brown de Tiège, il demande que l’Etat vînt
en aide au souverain. En 1901, il fut partisan du renouvellement des conventions
de 1890 et il s’opposa à Beernaert, qui réclamait l’annexion immédiate du
Congo. En 1903, lorsque, à
Avec
le cabinet Schollaert, Woeste n’eut pas de rapports aussi étroits qu’avec
le précédent. Il ne lui pardonna pas le vote du service personnel et il se sépara
de lui sur la question scolaire. Le projet déposé en 1911 forçait les
communes à intervenir en faveur des écoles libres ; au surplus,
l’obligation scolaire et la gratuité absolue n’agréaient pas à Woeste.
Consulté par le roi, le 4 juin 1911, il contribua à la retraire de Schollaert
et l’avènement de Charles de Broqueville. Il défendit le projet scolaire,
remanié en partie selon ses vues, et mena contre la révision et le suffrage
universel une lutte acharnée : la grève générale qui éclata en 1913 ne
l’intimida pas.
En
politique étrangère, Woeste défendit toujours la neutralité. En 1891, la
presse française attaqua les tendances de la politique belge et dénonça une
prétendue entente belgo-allemande. Léopold II ayant demandé à Woeste de défendre
sa politique, celui-ci écrivit une brochure sur
La
guerre survint, qui brisa les bases de sa politique militaire et diplomatique.
Il resta à Bruxelles, se consacrant au barreau, à ses œuvres et aux écoles
libres. Il tenta de grouper les parlementaires catholiques restés au pays,
protesta contre les excès de l’occupant et s’éleva contre les mesures séparatistes.
Mais la pression qu’il avait exercée pendant trente ans sur le gouvernement
n’était plus possible : Le Havre était loin et à l’intérieur du
pays la vie politique était suspendue. A la fin des hostilités, il y avait un
abîme entre le passé et les conditions générales de l’existence nationale.
A Loppem, en novembre 1918, Woeste ne fut pas consulté et le gouvernement
Delacroix fut constitué sans que son avis fût demandé. Le suffrage universel
fut voté, et il n’obtint pas le suffrage féminin.
Il
ne disposait donc plus d’une influence décisive sur le gouvernement, et,
d’autre part, à l’intérieur de son parti, son crédit était également ébranlé.
En décembre 1918, il donna sa démission de président de
Cependant,
le grand conflit ne fut pas seulement à ses yeux une parenthèse : il
admit la loi des huit heures et, en politique étrangère, il prophétisa le
prodigieux rétablissement de la puissance allemande, en face de laquelle il
voulait un pays bien protégé par une armée forte et par de solides alliances.
A
mesure que son influence décroissait, son prestige grandissait au sein du
Parlement. Le 1er décembre 1920, lorsqu’il descendit dans l’hémicycle,
la figure encadrée de favoris impeccables, les traits émaciés après une
courte maladie, mais les yeux toujours vifs,
En
décembre 1921, lors de la constitution du gouvernement Theunis, chargé de
remettre de l’ordre dans les finances obérées, il joua pour la dernière
fois un rôle important : quatre mois plus tard, son état de santé
s’affaiblit. Le 5 avril 1922, il s’éteignit doucement dans son hôtel de la
rue de Naples.
Rapporteur
de lois, « formateur » de cabinets, qu’il tenait en tutelle,
« debater », tacticien en matière électorale, Woeste,
catholique-conservateur, a occupé une place de tout premier plan dans la vie
politique belge de 1878 à 1914. Leader de la droite, il fut l’homme de son
parti et un grand polémiste.
Il
fut en outre un avocat de talent, un conférencier écouté, un journaliste
vigoureux, un homme d’œuvres dévoué. Travailleur acharné, il menait une
existence ordonnée. Sa piété sincère, ses convictions inébranlables, la
grande dignité de sa vie privée, son intégrité et son désintéressement lui
attirèrent l’estime de gens qu’éloignaient de lui l’intransigeance de
ses principes et la sécheresse de son humeur.
Au
barreau de cassation, où il fut inscrit le 12 janvier 1874, ses plaidoiries
sobres et claires, ses réparties promptes lui valurent une large renommée et,
en 1890, il fut bâtonnier de l’ordre.
Ajoutons
enfin que, nommé Ministre d’Etat, le 15 novembre 1891, il fut créé comte le
23 mai 1914.
R.
Demoulin – Biographie Nationale.