
de MUELENAERE, Comte
Félix, A.
Décédé à Pittem le 5
août 1862.
Ministre d'Etat.
Membre du Congrès
National.
Premier Ministre,
1831-1832.
Ministre des Affaires Etrangères,
1831-1832, 1834-1836, 1841.
Membre du Conseil des
Ministres, 1841-1847.
Membre de la Chambre des
Représentants.
Gouverneur de la Province
de Flandre Occidentale, 1830-1849.
Grand Croix de l'Ordre de
Léopold, Croix de Fer 1830.
Grand Croix de l'Ordre de
la Branche Ernestinede Saxe, de l'Ordre de Danebrog de Danemark, de l'Ordre du
Christ de Portugal, de l'Ordre de Charles III d'Espagne, de l'Ordre de la Villa
Vicosa de Portugal, Grand Officier de l'Ordre de la Légion d'Honneur de France,
Chevalier de l'Ordre du Lion Néerlandais.
de
MUELENAERE, Comte Félix-Armand, naquit, le 9 février 1794, à Pittem, dans
la Flandre Occidentale.
Après avoir suivi les leçons de l’école de droit de Bruxelles, il obtint
en 1815 le grade de docteur et se fit inscrire au barreau de Bruges, qu’il
quitta bientôt pour entrer au parquet. Dès 1822, à peine âgé de vingt-huit
ans, il en devint le chef. Deux ans après, le 9 juillet 1824, les états
provinciaux de
la Flandre
Occidentale
l’envoyèrent à la deuxième chambre des états généraux. Pendant les cinq
années qu’il fit partie de la représentation nationale, de Muelenaere tint
une conduite patriotique ; quoique fonctionnaire, il exprimait ses opinions
avec indépendance. En 1826, après s’être élevé contre l’impôt qui
frappait la mouture, il vota contre le budget. Le ministère, pour l’éloigner
des états généraux, lui fit offrir une place dans le conseil des Indes, à
Batavia. De Muelenaere hésita quelque temps, obtint la décoration du Lion
Belgique comme gage des bonnes dispositions du gouvernement, et finalement
refusa de s’expatrier. Dès lors il prit une part encore plus active aux débats
parlementaires. Le 1er décembre 1828, il appuyait la célèbre
proposition de Charles de Brouckere en faveur de la liberté de la presse. Le 5
mars de l’année suivante, il exprimait le vœu que, par une communication spéciale,
l’attention du chef d’état fût appelée sur les innombrables pétitions
qui réclamaient les libertés garanties par la loi fondamentale. Le 14 mai, il
volait de nouveau contre le budget, après avoir invoqué la devise des Anglais :
redressement des griefs ou point de
subsides. Au mois de juillet suivant, de Muelenaere devait être soumis à
une réélection ; le gouverneur, qui obéissait, croit-on, à des
instructions secrètes, mit tout en œuvre pour faire échouer l’honorable
candidat, et y il réussit. Le soir, des groupes se formèrent devant la maison
du député éliminé ; plus de quatre mille personnes poussèrent avec
enthousiasme le cri de : Vive de Muelenaere ! Un autre membre de
l’opposition, le comte Vilain XIIII, avait été écarté par les états de
la Flandre
Orientale.
Une souscription fut alors ouverte dans les deux Flandres pour offrir aux deux
députés non réélus une médaille d’or portant leur effigie avec ces mots
vengeurs : Le pouvoir les proscrit,
le peuple les couronne. Cette manifestation s’accordait mal avec le tempérament
très peu révolutionnaire de de Muelenaere. Celui-ci ne désirait point la
destruction de la monarchie des Pays-Bas, et il s’était toujours gardé de défier
le gouvernement. Il allait donner une preuve nouvelle de son obéissance, de sa
docilité. Le 12 décembre 1829, le ministre Van Maanen réclama l’adhésion
immédiate des procureurs généraux et autres officiers de justice au fameux
message dans lequel Guillaume Ier s’élevait contre la licence de la presse et
exposait ses vues personnelles sur la marche du gouvernement. De Muelenaere
envoya sans retard l’adhésion qui lui était demandée, et il s’exprimait
de la manière suivante : « … Si les doctrines séditieuses qui,
depuis quelque temps, ont été répandues partout, au moyen de l’abus que
l’on fait de la presse, sont restées impunies, cela ne peut être attribué,
selon moi, qu’au défaut de moyens énergiques qui empêche les officiers de
justice de réprimer convenablement ce mal. Je n’hésite donc pas à déclarer
à votre excellence, avec sincérité et franchise, que je suis tout à fait
disposé et résolu de suivre la ligne de conduite tracée dans le message
royal… ; que je ne m’en écarterai d’aucune manière, et que je déploierai
la fidélité et la fermeté sans lesquelles il n’est plus possible de servir
plus longtemps la patrie avec quelque fruit ni de défendre les citoyens
paisibles contre les criminelles tentatives des malveillants ».
Quoiqu’elle n’ait été divulguée qu’au mois de décembre 1831, cette
humble réponse de l’ancien député ne resta pas inconnue, et cependant elle
n’affaiblit point l’influence acquise par de Muelenaere dans
la Flandre
Occidentale.
Il soutenait, au surplus, qu’il fallait distinguer entre le représentant
de la nation, lequel ne relève que de sa conscience, et l’officier de justice
subordonné au gouvernement ; que, tout en exécutant les prescriptions de
Van Maanen, il gardait ses opinions libérales.
Après
la triomphe de la révolution belge, de Muelenaere est élu membre du Congrès
National par trois districts de
la Flandre
Occidentale
: ceux de Bruges, d’Ostende et de Tielt. Il opte pour Bruges. Quinze
jours après, le gouvernement provisoire lui confie l’administration de la
province. Au Congrès, de Muelenaere se signala, comme naguère aux états généraux,
par sa prudence autant que par son patriotisme. Il vota pour l’indépendance
du peuple belge ; il adhéra également à l’exclusion perpétuelle de la
maison d’Orange-Nassau de tout pouvoir en Belgique, mais ce fut sans
enthousiasme, trouvant même inopportune et dangereuse l’initiative prise, à
cet égard, par M.C. Rodenbach. Il se déclara également pour la monarchie
constitutionnelle représentative sous un chef héréditaire et pour
l’institution de deux chambres. Dans les débats relatifs aux libertés
constitutionnelles, il se montra fermement attaché au grand parti unioniste qui
avait fait la révolution. C’est ainsi que, plaidant pour l’entière liberté
des cultes, défendant les droits de la minorité, il ne laisserait pas,
disait-il, accréditer à l’étranger l’opinion que le congrès était déjà
sous l’influence d’un parti. Lorsqu’il s’agit de nommer le chef définitif
de l’état, de Muelenaere vota pour le prince Léopold de Saxe-Cobourg. Il fit
ensuite partie de la députation chargée par l’assemblée de se rendre en
Angleterre afin d’annoncer au prince son élection. Il acheva sa tâche de
constituant en prononçant, le 7 juillet, un discours remarquable pour
conseiller l’acception des préliminaires de paix arrêtés par la conférence
de Londres sous la dénomination des dix-huit articles.
Le
24 juillet 1831, Léopold Ier confia le ministère des affaires étrangères à
lui. Quelques jours après, l’armée hollandaise franchissait la frontière.
Dans l’après-midi du 2 août, le ministre des affaires étrangères avait reçu
la déclaration par laquelle le général Chassé, commandant de la citadelle
d’Anvers, annonçait brusquement la reprise des hostilités. De Muelenaere
chargea l’envoyé belge à Paris de porter la déclaration de guerre à la
connaissance du gouvernement français, mais sans réclamer aucun acte ou
disposition défensive. Il redoutait, comme ses collègues, de violer
l’article de la constitution portant qu’aucune troupe étrangère ne peut
occuper ou traverser le territoire qu’en vertu d’une loi. Or, cette loi,
n’existait pas et le congrès n’était plus réuni. Indépendamment du
scrupule constitutionnel qui l’arrêtait, de Muelenaere avait une confiance
exagérée dans une armée dont l’organisation n’était qu’à peine ébauchée.
Plus prévoyant, le roi Léopold, qui se trouvait à Liège, avait demandé
formellement l’intervention armée de
la France.
Lorsque
le roi se rendit ensuite au quartier général de Malines, de Muelenaere pria
un agent anglais « de dire à S.M. qu’il l’implorait à genoux d’empêcher
l’exécution d’une mesure qui était de nature à compromettre l’honneur
militaire du pays. » Dans cette grande crise, de Muelenaere manqua de décision ;
mais il ne tarda pas à reconnaître qu’il avait poussé trop loin des
scrupules inopportuns. Le 16 août, il écrivait à Van de Weyer, ministre belge
près la cour de Saint-James : « … Si, sur les réclamations venues
de Londres, sur nos propres réclamations, le maréchal Gérard s’était arrêté
au-delà des frontières, Bruxelles tombait entre les mains des Hollandais dans
la journée du 13 août. » L’indépendance fut sauvée, mais au prix de
durs sacrifices. Aux dix-huit articles, sous la foi desquels le prince de
Saxe-Cobourg avait accepté la couronne, la conférence de Londres substitua de
nouvelles bases de séparation qu’elle imposa à
la Belgique
et à
la Hollande
comme des résolutions finales et irrévocables. Or, par ce nouveau traité des
vingt-quatre articles,
la Belgique
subissait la loi des vaincus. Résister à l’Europe, c’était s’exposer
à une restauration ou à un partage. De Muelenaere, pour soustraire
la Belgique
à ces terribles éventualités, montra cette foi un vrai courage. Le 21
octobre, résistant à une opposition puissante et exaspérée, il présenta aux
chambres un projet de loi autorisant le chef de l’état à conclure et à
signer le traité définitif de séparation entre
la Belgique
et
la Hollande.
La
majorité ayant approuvé la résolution du gouvernement, le traité fut signé
à Londres le 15 novembre. La question de paix ou de guerre restait néanmoins
indécise par suite de l’obstination du roi Guillaume. Ce souverain refusant
son adhésion aux nouvelles bases de séparation, comme il l’avait refusée
aux premières, il fallait réclamer de l’Europe l’accomplissement des
conditions qu’elle avait garanties. Or, le cabinet de Bruxelles voulait que la
conférence de Londres assurât l’exécution de ces conditions, tandis que la
conférence, au contraire, prétendait la faire dépendre d’une négociation
directe entre
la Hollande
et
la Belgique.
Et
dans cette hypothèse encore, le cabinet de Bruxelles subordonnait d’une manière
absolue toute négociation à l’évacuation préalable du territoire attribué
à
la Belgique
par le traité du 15 novembre. Tel était le système que de Muelenaere
soutenait opiniâtrement et auquel il avait attaché son existence ministérielle.
En désaccord avec Lord Palmerston, avec Van de Weyer, avec le roi
Louis-Philippe, avec le baron Stockmar, avec d’autres hommes d’état, il
finit par succomber. Le 18 septembre 1832, il déposait le portefeuille des
affaires étrangères afin de ne point contrevenir, disait-il, aux engagements
pris à l’égard de la législature. Il conservait le titre de Ministre
d’Etat, qui lui avait été conféré le 12 novembre 1831, le gouvernement de
la Flandre
Occidentale
et son siège à la chambre des représentants comme député de Courtrai.
De
Muelenaere avait à
la Chambre
une position très influente ; il était le conseiller écouté, le chef
d’un groupe parlementaire composé de catholiques et d’unionistes. Le 4 août
1834, il redevint ministre des affaires étrangères et présida le cabinet
jusqu’au 13 décembre 1836. Il se sépara de ses collègues lorsque ceux-ci
eurent refusé de conférer le titre de ministre d’état à Meeus, gouverneur
de
la Société
Générale
, et à Coghen, son principal auxiliaire. Par un acte de haute faveur, de
Muelenaere aurait voulu nationaliser la puissante société financière qui
devait sa création à Guillaume Ier et dissiper les préventions dont elle était
encore l’objet de la part des patriotes. Mais il rencontra une résistance
invincible. La veille du jour où de Muelenaere se retira, le roi lui écrivait :
« … Voilà bientôt six ans que je vous connais ; je vous ai
toujours porté les mêmes sentiments, et j’espère vous voir encore de
longues années servir notre pays avec honneur et utilité ; ce qui sera en
mon pouvoir pour rendre votre position agréable et vous prouver ma satisfaction
sera toujours mis en œuvre. » De Muelenaere reprit le gouvernement de
la Flandre
Occidentale
, qu’il préférait d’ailleurs à l’administration de l’état. En 1837,
il fut créé comte romain par le pape Grégoire XVI. Le 13 avril 1841, il
reprit pour la troisième et dernière fois le portefeuille des affaires étrangères
dans le cabinet mixte formé par Nothomb. Mais c’était malgré lui qu’il
avait délaissé sa chère Flandre : aussi, dès le 5 août suivant,
abandonnait-il le ministère pour des motifs personnels, tout en conservant la
qualité de membre du conseil avec voix délibérative. Un mois après, il se
rendait à Paris, avec deux autres membres de la législature, pour discuter les
conditions d’un projet d’union douanière avec
la France.
Il
n’en était point grand partisan. Après de laborieuses négociations et des
incidents sans nombre, il exprimait son jugement en ces termes : « …
Dans la négociation actuelle, les avantages politiques sont exclusivement en
faveur de
la France.
Sous
ce rapport,
la Belgique
n’a rien à gagner ; elle a tout à perdre. Aux yeux des puissances du
Nord, le traité constituera une atteinte grave à sa nationalité et à son indépendance… »
De
Muelenaere resta membre du conseil, sans portefeuille, dans toutes les
administrations qui se succédèrent depuis 1841 jusqu’à l’avènement des
libéraux en 1847. Lorsque la loi du 26 mai 1848 eut exclu des chambres tous les
fonctionnaires sans exception, le comte de Muelenaere opta pour le gouvernement
de
la Flandre
Occidentale.
Il avait peine à se détacher d’une administration dont il était investi
depuis dix-sept années et dans laquelle il avait en quelque sorte renfermé sa
vie. Mais il dut enfin s’apercevoir qu’il y avait incompatibilité entre
lui, ancien chef de la droite, et le ministère libéral. Le 11 février 1849,
la démission qu’il avait donnée fut acceptée. Le 11 juin suivant, il était
élu membre de la chambre des représentants pour le district de Tielt, et ce
nouveau mandat lui fut conservé pendant douze années. On le considérait à
juste titre comme une des notabilités du parlement belge. De Muelenaere mourut
à Pittem, le 5 août 1862 ; sa dépouille mortelle fut transportée à
Bruges et ensevelie dans le cimetière de Koolkerke.
Th.
Juste – Biographie Nationale.
