de RYCKEL, Baron Louis.

Né à Liège, le 16 novembre 1857, décédé à Woluwe-Saint-Lambert, le 12 juillet 1922.

 

Lieutenant-général de l'artilllerie.

Commandant de la Côte, 1918-1919.

Attaché militaire au G.Q.G. de l'armée russe, 1914-1918.

Sous-chef d'état-major de l'armée, 1913-1914.

 

Grand Officier de l'Ordre de Léopold avec Palme, Commandeur de l'Ordre de la Couronne, Croix de Guerre 1914-1918, Médaille Commémorative de la Campagne 1914-1918, Médaille de la Victoire, Croix Militaire 1 Classe, Médaille Commémorative du Règne de Léopold II.

Grand Croix de l'Ordre de Saint Stanislas de Russie, Commandeur de l'Ordre de la Légion d'Honneur de France, Chevalier de l'Ordre du Christ de Portugal et de l'Ordre d'Isabelle la Catholique d'Espagne.

 

 

de RYCKEL, Louis, Désiré, Hubert, baron, lieutenant général et sous-chef d'Etat-major de l'armée, né à Liège le 16 novembre 1857, décédé à Woluwe-Saint-Lambert le 13 juillet 1922.

Entré à l'Ecole Militaire (3 novembre 1875), il est admis à l'Ecole de Guerre (29 août 1883) et promu lieutenant (juin 1885), puis capitaine (mars 1889). Le Roi, en mars 1890, lui concède le titre de baron. Nommé professeur suppléant (septembre 1893), ensuite ordinaire (septembre 1899 - septembre 1905) à l'Ecole de Guerre, sa pensée y subit l'influence des écrits du général Brialmont ainsi que des conceptions du général Renard. Chef d'état-major de la 1ère division (septembre 1905), lieutenant-colonel (mars 1908), il forge lentement sa propre doctrine et entame la rédaction, pendant l'hiver 1909-1910, d'un Mémoire sur la défense de la Belgique. Les entretiens qu'il a, au même moment, au polygone de Brasschaat, avec le général Jungbluth (ancien précepteur et aide de camp du prince Albert) marquent un tournant dans sa carrière. Son interlocuteur est séduit et conquis par la hardiesse et l'originalité du système qu'il lui expose. Quelques mois après l'avènement d'Albert, Jungbluth est nommé chef d'Etat-Major général de l'armée (26 juin 1910). Ryckel, introduit le jour même dans son équipe, en devient l'animateur et la tête pensante. C'est lui qui rédige les notes et les rapports qui signera Jungbluth.

Distinguons, dans la théorie de Ryckel, deux parties principales. La première est d'ordre politique. Le gouvernement est chargé de défenir les buts de guerre, il est également prié de poser certaines conditions au déroulement de celle-ci. Faut-il que l'armée se mesure immédiatement avec l'ennemi dans une action générale? Doit-elle défendre le territoire dès la frontière ou seulement à partir d'une position centrale? Les pays garants de la neutralité seront-ils appelés à l'aide? Quelques seront les restrictions exprimées dans la demande des secours? Au gouvernement de répondre à ces questions, et à d'autres semblables, dès le temps de paix. La seconde partie est un plan d'opérations, destinées à traduire dans les faits la politique de guerre. Ce plan sera l'œuvre propre des militaires. Les ministres ne s'en occuperont pas et s'en remettont entièrement, sur ce point, au jugement de ceux-là.

Les uns et les autres devant travailler dans la confiance et la clarté, Ryckel propose, pour faciliter leur accord, la création d'un conseil (ou comité) de la Défense nationale ( appelé aussi parfois: comité secret de la Guerre), qui comprendrait, sous la présidence du Roi, le chef du cabinet, les ministres de la Guerre, des Affaires étrangères, de l'Intérieur (éventuellement d'autres encore, selon les circonstances). A leur côté siégeraient le chef et le sous-chef de l'Etat-major général. Le ministère de la Guerre verrait ses attributions limitées à l'administration de l'armée. Le Roi commanderait celle-ci, aussi bien en temps de paix qu'en temps de guerre; il serait libre de choisir à sa convenance le chef et le sous-chef de l'Etat-major général.

Après avaoir écrit que les ministres ont l'obligation de dire aux généraux : «Voici comment nous entendons que le territoire soit défendu, vous agirez en conséquence», Ryckel se permet - ce qui peut paraître une contradiction - d'indiquer au gouvernement la politique de guerre qui a ses préférences, à savoir :  la défense pied à pied du territoire. De même anticipe-t-il le futur plan des opérations, en préconisant la concentration de l'armée sur la rive gauche de la Meuse, face à Liège. Vues qui sont loin de concorder avec celles du ministre de la Guerre de l'époque, le général Hellebaut.

La crise internationale de l'été 1911 (dite marocaine) met en lumière les carences de notre armée. Durement attaqué au Parlement et dans la presse par l'opposition libérale, Hellebaut soupçonne dans cette campagne la main de l'Etat-major général. Abandonné, après bien des hésitations, par Broqueville (alors chef du cabinet) et mal soutenu par le Roi, il démissionne le 23 février 1912.

Broqueville, qui exercera par intérim la fonction de ministre de la Guerre, maintient pour l'essentiel - en dépit de quelques concessions - la politique de son prédécesseur. En temps de paix, il ne veut pas renoncer, en faveur du Roi, au commandement de l'armée. Jungbluth, qui défend le point de vue opposé, est vertement tancé. Ryckel, ses espérances «anéantis », se plie à l'inévitable. D'autres déconvenues vont suivre. Arrivé, le 25 juin 1912, au terme de sa carrière, Jungbluth quitte le service actif. Le général Dufour, sous-chef de l'Etat-major, dont il veut faire son successeur, se voit préférer le général De Ceuninck, réfractaire aux idées nouvelles. Ryckel, écarté de l'Etat-major de l'armée, est déplacé à Anvers avec le titre de chef d'état-major de cette position.

Entre-temps, le capitaine Galet (autre protégé de Jungbluth) a été nommé officier d'ordonnance du Roi. Devenu en fait, sans en avoir le titre, son conseiller militaire, il persuade le Souverain de l'excellence et de la supériorité du plan d'opérations élaboré en 1909-1910 par Ryckel. Rappelons que ce plan est un fragment de la théorie générale du même auteur : dans le cas d'une invasion en provenance de l'Est, il recommande la concentration au gros de l'armée de campagne (quatre divisions) sur la rive gauche de la Meuse, face à Liège ;  une cinquième division, maintenue rive droite, servant de soutien aux forts de la place et une sixième faisant de même, un peu plus loin, pour ceux de Namur. Précisons ici, pour éviter un malentendu fréquent, que l'expression «plan Ryckel», telle que couramment utilisé et en 1913 et depuis, désigne uniquement le plan d'opérations susdit, en non pas aussi, comme c'était le cas en 1911-1912, la réorganisation du ministère de la Guerre et la création d'un conseil supérieur de Défense.

En 1913, le monarque multiplia les instances auprès du gouvernement. Broqueville, du moment qu'on ne met plus en question ses prérogatives en tant que ministre de la Guerre, se déclare prêt - du moins en paroles - à accepter la nouvelle stratégie (27 février 1913). De Ceuninck est plus réservé. Les choses traînent jusqu'au retour du Roi de Potsdam, en novembre 1913. Instruit de l'avertissement de Guillaume II et du général Moltke à Albert («Une grande guerre est inévitable et proche»), Broqueville débloque immédiatement les freins. De Ceuninck est remis au pas; Ryckel, rappelé d'Anvers, est réintroduit à l'Etat-major de l'armée en tant que sous-chef, chargé expressément des plans de défense (1er décembre 1913). Le tout à une condition qui lui signifie le ministre: le plan d'opérations devra lui être apporté vers la mi-avril 1914, achevé jusque dans ses détails.

Au jour dit, Ryckel remet un document incomplet, sans précisions suffisantes sur l'organisation du transport des troupes, qui était son objet principal. Broqueville, déçu, ne croit plus pouvoir lui accorder sa confiance. Malgré les objections et la résistance du Roi, il confie le poste de chef d'Etat-major de l'armée (devenu entre-temps vacant, du fait de la démission anticipée de De Ceuninck), au général de Selliers de Moranville, chargé non d'établir un nouveau plan, mais de hâter l'achèvement de celui qui était en cours d'élaboration (25 mai 1914).

L'ultimatum autrichien à la Serbie du 23 juillet 1914 (connu à Bruxelles le 24), tomba comme la foudre. Où en est, se demande-t-on en haut lieu, le plan d'opérations? Force fût de constater que d'un plan complet, directement exécutable, il n'y avait pas plus de traces ce jour-là que le 15 avril précédent. Beaucoup d'obscurité subsiste à ce propos. Tout semble indiquer pourtant que Broqueville, très occupé par ailleurs, avait fait aveuglément confiance à Selliers; que le Roi de son côté, avait fait de même à l'égard de Galet et que celui-ci avait agi de façon identique envers son ami, le sous-chef de l'Etat-major général - tous trois étant persuadés que Ryckel et Selliers travaillent d'arrache-pied à la mise au point du plan impatiemment attendu.

En réalité, il n'en était rien. Selliers, au lieu de stimuler son second, s'en était abstenu et avait renvoyé à plus tard l'examen des travaux en cours. Pour le moment, il ne voulait s'occuper, disait-il, que de la préparation des grandes manœuvres! Ryckel, d'autre part, offensé par cette indifférence, avait, de sa propre initiative, arrêté les études et renvoyé ses collaborateurs.

Vu que tout le monde, en cette affaire, avait été, dans une certaine mesure, coupable de négligence; étant donné aussi l'inquiétude de l'opinion face à la crise balkanique, on crût préférable  de jeter un voile sur ce malencontreux épisode.

La désarroi n'en fut pas moins grand, surtout à partir du 28 juillet, date de la déclaration de la guerre de l'Autriche à la Serbie. D'après le plan d'opérations échafaudé par Ryckel en 1909-1910, il aurait fallu (une fois la mobilisation achevée et l'envahisseur démasqué) transporter par voie ferrée le gros de l'armée sur la rive gauche de la Meuse, dans la région de Liège. Ce plan, connu de longue date, s'avéra, le moment venu, inexécutable pour la raison que Ryckel et Selliers - sous les prétextes futiles que nous savons - n'avaient pas achevé la mise au point des tableaux de transport. Consultée trop tard, l'administration des chemins de fer s'était déclarée incapable de réaliser en quelques jours ce que l'Etat-major n'avait pu faire en sept mois.

Ryckel proposa alors un succédané de son plan primitif: tout d'abord le gros de l'armée (soit les 1re, 2e, 5e et 6e divisions), au lieu d'être rassemblé dans la région de Liège, le serait (faute de moyens) dans une zone centrale (le quadrilatère Louvain-Tirlemont-Perwez-Wavre), d'où, si possible, il gagnerait la Meuse à pied, en deux ou trois étapes. Comme prévu, la 3e division, mobilisée sur place à Liège, formerait couverture, rive droite. Enfin, la 4e division demeurerait à Namur. Ce plan ersatz ne différait du plan primitif que par le retard mis à rassembler le gros de l'armée rive gauche. Pendant deux ou trois jours, la 3e division et les forts, laissés à eux-mêmes, devraient être capables de résister seuls à un coup de main allemand.

La situation n'était pas désespérée pour autant. Il était probable, en effet, que l'envahisseur, dont la mobilisation générale venait à peine de commencer, n'attaquerait la 3e division qu'avec des forces approximativement égales. Celle-ci, qui bénéficiait d'une position défensive ainsi que de l'appui de nombreux forts, avait des chances raisonnables de tenir bon jusqu'à l'arrivée des quatre divisions de secours. Convaincu par ces arguments, apparemment solides, le Roi fit grand éloge du plan ersatz, le 2 août au soir, lors du Conseil où fut rejeté l'ultimatum allemand.

Dans la nuit du 5 août, l'idée fut mise à l'épreuve des faits. Expérience cruciale et brève. Dès le lendemain, la 3e division battait en retraite; le 7, les Allemands campaient à Liège. Le plan ersatz s'était effondré au premier choc.

Bien qu'accablé, le Roi ne fit aucun reproche à Ryckel. L'opprobre fut jeté sur le seul Selliers, à qui il enleva le contrôle des opérations, tout en lui interdisant de démissionner (10 août). Broqueville, averti par son protégé, protesta avec force et parla de renoncer au pouvoir. Au même moment, au sein du grand Etat-major, beaucoup d'officiers réclamaient une contre-attaque sur Liège. Ryckel, toutes illusions perdues sur la capacité offensive et manœuvrière de ses troupes, s'y opposa, en plein accord avec Galet et le Roi. Le gros de l'armée resta donc sans bouger dans le quadrilatère Louvain-Tirlemont-Perwez-Wavre, où il s'était installé les 4 et 5 août.

Le 18 août, l'armée allemande tout entière (et non comme les 4 et 5 août, une petite fraction de celle-ci) se met en branle, sa concentration achevée. L'armée française est éloignée de plusieurs étapes. Conscient du danger, Ryckel préconisait depuis plusieurs jours un repli sur Anvers, auquel le Roi consent in extremis. Ce même 18 août, le lieutenant-colonel Aldebert, chef de la mission militaire française (qui persistait à nier la présence de forces importantes en face des Belges), condamne cette décision, parle de forfaiture et, furieux, s'en retourne chez Joffre.

Pour apaiser les Français, le Roi promet, dès que possible, une attaque de flanc. Ryckel désapprouve une opération qui ne peut, d'après lui, qu'affaiblir davantage une armée, déjà si débile par elle-même. Pour la première fois se produit, entre le Roi et lui, un dissentiment grave. L'avis de Ryckel, autrefois si prisé, est négligé. L'attaque, exécutée les 25 et 26 août, échoua comme prévu, avec des pertes sensibles.

L'armée franco-anglaise, battue de son côté à Charleroi et Mons, recule à marches forcées vers Paris. Un vide énorme se creuse entre elle et l'armée belge, bloquée à Anvers; les communications avec la côte sont à la merci d'un raid de l'ennemi. Le gouverneur de la place d'Anvers, le général Dufour (ami de Ryckel), soucieux avant tout d'améliorer les défenses de la forteresse, a négligé celles de Termonde, endroit stratégique sur la ligne qui mène à la mer. Les Allemands s'emparent de cette ville le 4 septembre, sans pousser plus loin leur avantage.

A Anvers, l'affolement est général. Broqueville trouve dans l'incident un argument nouveau pour critiquer l'organisation du haut commandement. Il semble que, depuis peu, des conversations confidentielles étaient déjà en cours à ce propos. La crise de Termonde en brusque le dénouement. Un conseil extraordinaire, auquel participaient le Roi, Broqueville, Jungbluth, Hellebaut et Ingenbleek, décide, le 6 septembre, un remaniement complet de l'Etat-major de l'armée. Selliers et remplacé par le chef du cabinet militaire de Broqueville, le colonel Wielemans; Dufour l'est par Deguise; Ryckel, lâché par ses anciens protecteurs, est limogé. Broqueville triomphe de celui qui avait voulu limiter ses activités à l'administration de l'armée. Pour en être définitivement quitte, il l'envoie à plus de mille kilomètres, représenter l'armée belge auprès du grand quartier général russe (14 septembre). C'est là que le retrouvèrent Vandervelde, de Brouckère et De Man, chargés en mai et en juin 1917, d'une mission chez Kerenski. Très prévenant, il dactylographiait leurs discours et leur servait quasiment de secrétaire. «Nous ressentions pour lui, écrit Vandervelde, une sympathie croissante». On ne peut en dire autant des rapports qu'entretint Ryckel avec Destrée (le ministre de Belgique à Petrograd), ou avec son aide de camp et ex-ami intime, le capitaine Semet.

Lors du retour de Ryckel au Havre, en octobre 1918, le gouvernement ne put ou ne voulut lui accorder dans l'armée de campagne un poste en rapport avec ses anciens fonctions ainsi qu'avec son grade (il venait, en 1916, d'être promu lieutenant-général). Faute de mieux, on le nomma commandant de la Côte (30 octobre1918), puis gouverneur militaire de la Flandre Occidentale (1er février 1919). Plutôt mal noté par les nouveaux chefs du grand Etat-major, il demanda son admission à la pension (26 juin 1919). D'avoir frôlé la victoire et la gloire, et de les avoir manquées, lui était, depuis septembre 1914, un supplice permanent. La responsabilité de son échec était entièrement rejetée par lui sur Broqueville et Selliers, accusés d'avoir saboté ses plans. Que son caractère ombrageux et impulsif, ainsi que ses maladresses, y ont également été pour quelque chose ne lui vint jamais à l'esprit.

Ses mémoires (préfacés par Dufour) - bourrés de documents inédits et débordants de reproches - parurent en 1920, au moment où les poursuites entamées contre le baron Coppée (accusé d'avoir livré du charbon et des sous-produits aux Allemands) empoisonnaient la vie publique. La Chambre avait à son ordre du jour la levée de l'immunité parlementaire du comte de Broqueville, soupçonné de complicité. Le journaliste Patris, ennemi juré de l'ancien ministre, menait contre lui, dans Le Soir, une campagne forcenée. Le livre de Ryckel (bien que sans rapport direct avec l'affaire Coppée), lui permit d'ajouter à ses autre griefs, celui d'impéritie et de négligence coupable dans la gestion du département de la Guerre. Fernand Neuray rétorqua dans la Nation Belge en dénonçant une conjuration de vieux généraux aigris, unis avec des politiciens de gauche. Les Mémoires étaient qualifiées de pamphlet. L'hommage unanime, rendu au patriotisme de Broqueville par la commission parlementaire chargée de juger ses actes, calma momentanément les esprits. Quelques années plus tard, la publication des souvenirs de Galet (1931), puis de ceux de Selliers (1933), ramena l'attention sur Ryckel. Son plan d'opérations restait un objet de controverse, les uns affirmant que son application intégrale aurait changé le cours de la guerre, les autres prétendant que les Allemands avaient les moyens, même après un échec temporaire, d'infliger une défaite totale à l'armée belge.

Henri Haag – Biographie Nationale.